Princesses et chevaliers

Fotolia 58250909 XSDepuis le jour de sa naissance, l'enfant est traité différemment selon qu'il est fille ou garçon. Depuis la couleur de ses vêtements, de ses jouets, de ses objets de toilette, jusqu'à l'éducation qu'il reçoit, tout est déterminé par son sexe. Au nom de l'évidence, le chemin est tracé. Il faut avoir du caractère et une force certaine pour résister à l'aspiration des adultes et des autres enfants qui veillent au bon déroulement de la socialisation hétérosexuée, hétérosexuelle et gendrée. La petite princesse, rose de la tête aux pieds, vit dans un monde imaginaire rose, avec des licornes et des fées, tandis que le petit prince devient un chevalier, aux couleurs plus réalistes, aux jeux plus ancrés dans la réalité. Plus que jamais, la vigilance est de mise.

 

Dès sa naissance, petite princesse, rose et bling bling

beberoseElle est là, toute petite, toute rose, quelques heures à peine et déjà une cour autour d'elle, la petite princesse est née. Il faut déjà la couvrir, l'habiller, lui reconnaître une existence, l'inscrire dans une filiation et une généalogie, la normer, la construire. Comme une fille. La couleur rose est de rigueur, même si elle partage la place avec d'autres couleurs pastelles et le blanc. La princesse (de sa maman, de son papa, etc. ) est entourée, gâtée, petite poupée avec laquelle jouent certains adultes parfois.

© Superingo
 

Acheter des vêtements, de quoi l'alimenter, la changer, la couvrir, la promener, la montrer, la photographier, la twitter, la facebooker, l'exhiber. Sans oublier des barrettes, des bonnets et des serre-tête à noeuds (sexuation exige), des chapeaux à paillettes, des lunettes de soleil, le tout majoritairement rose. De ce corps visiblement asexué (les cultures nord-occidentales cachent les organes génitaux des enfants), il faut faire une petite fille qui deviendra femme, un jour... Et qui se trouve très vite confrontée au jeu du miroir, perdue dans ses regards et ceux des adultes qui en ont la responsabilité. Princesse tu nais, princesse tu deviendras.

princesseParce que les histoires sont comme ça, «Un jour mon prince viendra» fait aujourd'hui du renforcement positif hétéronormé très efficace, puisque de nombreuses femmes – jeunes et moins jeunes – le cherchent et l'attendent – encore –, amenant certaines d'entre elles à prétendre qu'il n'existe plus, obligées alors de prendre ce qu'elles trouvent ou de s'en passer – heureusement ou malheureusement –, n'ayant pas intégré la détermination et l'audace de La princesse et le dragon1. Et pour les petites filles qui n'auraient pas été convaincues par la nécessité d'attendre un prince, les «Ne pleure pas Jeannette...»  les préviennent clairement que mésalliance et rébellion sont socialement inacceptables. Et qu'il est plus facile de sortir des normes hétérosexuelles sur papier comme La Princesse qui n'aimait pas les Princes2  que dans la réalité.

Le long travail de la familialisation et de l'éducation commence. Développer le cerveau de cette petite princesse sur un tapis d'éveil fée3 rose, stimuler ses petites mains avec un papillon en tissus, multicolore certes, mais rangé dans une boîte rose, apprendre à s'asseoir dans un «siège cosy adapté à la morphologie de l'enfant» mais rose (et vert). S'endormir en douceur sous une voûte lumineuse projetée par «une veilleuse arc-en-ciel rose». Commencer les manipulations sur «une table d'activités avec de nombreuses fonctions électroniques et mécaniques» dont les pieds sont roses. Découvrir la station debout, la marche et la mobilité avec un trotteur et un porteur roses, appréhender «la relation de cause à effet» avec l'aero'balles elefun rose. Et si les petites filles ont acquis le droit à la voiture téléguidée et à la moto, elles se distinguent en conduisant des engins roses. Tout ceci avant même ses 3 ans. Et quand les choses semblent se diversifier, l'assignation n'est pas bien loin, dans le catalogue Maxi toys 2014, une petite fille conduit le porteur quad vert, délaissant le rose à ses côtés... mais ce qui apparaît comme une marque de liberté est rapidement tempéré par le fait que la petite fille, elle, est habillée des pieds (bottines y compris) à la tête en rose et mauve (son corollaire féminin depuis «l'invasion» des fées). Dans ce même catalogue, tous les engins électriques sont conduits par des garçons, les rares filles présentes sont passagères. Naître petite princesse c'est avant tout grandir dans les dragées, les fraises, les marshmallows et dans les bras de sa copine Minnie. Tout le lui rappelle, même si Minnie devient Qweenie, Poupons, Barbie, Aurore... Lolita, Mangas et Violetta.  De Grimm à Disney, des enluminures aux Mangas, le rose devient the female total color, bien plus sournois que les institutions totalitaires goffmaniennes.

La poupée Qweenie, comme sa copine Barbie, conduit une voiture, mais rose ; comme Barbie, elle est pédiatre, métier longtemps masculin, en blouse blanche de médecin (signifiant professionnel) mais porté sur une robe courte rose, et les accessoires – balance, baignoire, instruments divers et table d'auscultation – sont roses également ; elle est vétérinaire, un des derniers bastions de la gendérisation masculine, en blouse blanche (signifiant professionnel) portée sur une robe courte rose et les instruments – armoire et table d'auscultation – sont roses également, la clinique vétérinaire de Barbie était rose elle aussi. Roses sont le buggy, la chaise haute, le lit et les biberons qu'elles utilisent lorsqu'elles font du baby sitting, ou lorsque Qweenie prépare son nécessaire de future maman!

Licornes, poneys, châteaux, ordinateurs, hélicoptères, ambulances, matériel de nursery, landaus, lits pour poupées, bébés, poussettes, sacs à langer, cuisinières, fours à micro-ondes, fers à gaufres, à repasser, DS, manettes pour playstation, casques d'écoute, housses de couette, radios, trottinettes, rollers, lecteurs cd, appareils photos, consoles, micros, même la guitare... tout se trouve majoritairement en rose, pour les filles. Et lorsqu'on imagine des jeux mixtes ou asexués (selon le point de vue) comme les jeux de constructions briques Lego ou Playmobil, le rose des boîtes facilite immédiatement le choix, tel celui des Playmobil Princess, et les têtes de filles sur les boîtes Lego Friends city éloignent tout intérêt masculin tout comme les macarons roses sur les nouveaux Playmobil city life  (la maison moderne par exemple) détournent rapidement le regard des petits garçons.

Les jeux de société suivent : alors que les lettres de l'alphabet et les mots sont identiques pour les filles et les garçons, et que les cerveaux féminins et masculins se valent, Mattel propose un scrabble rose. Et les deux éditions spéciales roses – l'une toutes à l'école, pour soutenir la scolarisation des petites filles au Cambodge et l'autre pour aider la recherche sur le cancer du sein – ne font que confirmer l'évidence de l'intime association féminin/rose. Rose dans la tête, rose sur le corps. Les déguisements de princesses et de fées sont pastels mais surtout roses, nombre de vêtements proposés pour les filles, petites et jeunes confondues, sont roses, et pour parfaire la tenue des fêtes de fin d'année, H&M propose d'agrémenter la robe classique des filles d'une couronne dorée accessoire incontournable des princesses. Barbara Cartland habillée jusqu'à sa mort du même rose que ses romans doit sourire avec plaisir, elle dont la couleur des tenues suscitait souvent moquerie ou compassion.


 

 

1 Robert Munsch et Michael Martchenko, Editions Talents Hauts, 2005

2Alice Brière-Haquet, Acte Sud Editions, 2014

3 les lignes qui suivent partent des matériaux suivants : catalogues et sites de jouets Maxi toys, Brooze, Dreamland, Amazone, Delhaize, Collishop, Wibra, Maisons du Monde, H&M, Zeeman, Véritas, Carrefour,  Prémaman, Fnac, Lego, Playmobil, Mattel

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