Princesses et chevaliers

Les garçons dans la réalité, les filles dans l'imaginaire

chevalLe chevalier (de 4 ans) chevauche son fier destrier (brun, comme les vrais) à bascule ou gambade avec sa tête de cheval entre les jambes, et comme les chevalières n'existent pas, les petites filles se balancent sur une licorne rose et montent une tête de cheval rose bien sûr, les garçons dans la réalité, les filles dans l'irréel.

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De quoi les éloigner du monde publique dans lequel elles s'installent de plus en plus. L'enfant doit rêver, imaginer, créer avec des jouets mais il est également socialisé, les mondes réels et irréels doivent se rejoindre et rester sous son contrôle. Les filles princesses et fées roses sont-elles réellement ancrées et armées dans une réalité libre, publique et pour l'indépendance et l'autonomie auxquelles elles ont droit ? La princesse Finemouche14 devrait avoir plus souvent la parole.

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Les jouets restent sexués par leurs couleurs, par leur présentation, par leur fonctionnalité, par l'usage qui en est fait15 . Chaque fois qu'un jouet, auparavant sexué selon la gendérisation, semble rentrer dans l'équilibre égalitaire auquel prétend le fonctionnement de la plupart des sociétés nord-occidentales, le proposant ainsi aux filles et aux garçons, un élément y attenant rappelle brutalement son appartenance gendrée, ce qui en indique le destinataire et surtout celui qui n'y a pas droit, recréant malgré tout un faux choix individuel, personnel, familial et social. Il faut avoir du caractère et une force certaine pour résister à l'aspiration des paires et à celle des adultes qui veillent au bon déroulement de la socialisation hétérosexuée, hétérosexuelle et gendrée.

 

Le rose, couleur des toutes petites filles, devient au 21e siècle LA couleur féminine, associée à la douceur, à la légèreté, à la superficialité, retour à une infantilisation des femmes, fragilité, faiblesses, incapacité ou incompétences intellectuelles ou de maturité . Ce monde des femmes est rosé, bisounoursé, fait de parlottes, de conversations gsm et de commentaires sur les réseaux sociaux, tout en lisant des magazines people et en rêvant à un prince charmant dénué malheureusement d'esprit chevaleresque (ne fût-ce que par la lenteur avec lequel il cherche sa princesse). Le nuage est rose, la sucette ronde est rose.

La question n'est pas d'y résister, mais de saisir qu'il n'y a jamais eu autant de sexuation séparatrice et déterministe qu'aujourd'hui où existent tant d'acquis égalitaires16. Il ne s'agit ni de renier le rose, ni de s'approprier le bleu, il faut plus que jamais être attentif au chemin tracé très tôt sur lequel, au nom de l'évidence ou, pire de la scientifisation de l'inné que certains, même des scientifiques, placent habilement et subrepticement à la place de l'acquis et du construit, on dirige le groupe, pas de créatifs, pas d'audacieux, pas d'innovations, pas de rebelles ni de fantaisistes. Retour à un essentialisme manipulé, à une Histoire ignorée, aux moult désinformations et à des volontés intéressées où les petites filles et les plus grandes seront toujours perdantes.  

 

Chris Paulis
Novembre 2014

 

 

crayongris2Chris Paulis est docteur en anthropologie de la communication. Ses cours et ses recherches à l'Université de Liège concernent principalement communication et genre,  interculturalité et  sexualité.

 

 



 

14 Babette Cole , Gallimard Jeunesse, 2012

15 voir Paulis Chris, « Non, tu ne peux pas jouer avec une poupée, tu es un garçon ! », in Espace de libertés, centre d’Action laïque, n°370, décembre 2008

16 le nombre de publications sur les princesses et les chevaliers ont explosé ces 5 dernières années,  livres pour enfants,  jeux vidéo, films, fêtes médiévales, jeux de rôle, mise en scène de la vie quotidienne, mais pour les filles, de manière discriminatoire, dans une version très éloignée tout autant de la réalité que des contes, transformant tout cela en un grand miroir aux alouettes, rose, scintillant, pailleté, narcissique, donnant l'importance à l'apparence plutôt que l'action, recréant une uniformisation fort intolérante et d'exclusion.

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