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Le Moyen Âge dans les jeux vidéo

27 novembre 2014
Le Moyen Âge dans les jeux vidéo

Si le Moyen Âge peut sembler, de prime abord, une source d’inspiration particulièrement prolifique pour le jeu vidéo, c’est moins en tant que période historique qu’en tant que réservoir d’un imaginaire fantastique qu’il influence ce dernier. Cette influence remonte aux premières heures de l’histoire du médium : les jeux d’aventure textuels, par exemple, à la suite de l’œuvre initiatrice Adventure (William Crowther et Don Woods, 1977), prenaient généralement place dans un univers médiéval-fantastique largement inspiré de la licence Donjons et Dragons. La tendance récurrente à user d’un tel cadre thématique s’est ensuite maintenue sans discontinuer, accompagnant les évolutions du médium vidéoludique, comme en témoignent le nombre de jeux de rôle ou de jeux massivement multijoueurs qui, aujourd’hui encore, prennent place dans ce type d’univers. Pour ceux qui souhaiteraient s’imprégner de cette époque fascinante – tant pour son histoire que pour l’imaginaire qui lui est associé – nous avons sélectionné quelques œuvres à parcourir.

Le Moyen Âge historique

Si de nombreux jeux se fondent sur un imaginaire médiéval, le Moyen Âge comme période historique concerne principalement des jeux proposant un gameplay assez fouillé du fait de leur genre (jeux de stratégie) ou de leur volonté de réalisme (par exemple avec des contrôles mimant la lourdeur d’une armure).

Parmi les nombreux jeux de stratégie, on peut pointer Age of Empire II : The Age of Kings (Ensemble Studios, Microsoft, 1999), Crusader Kings II (Paradox, 2012), Medieval : Total War (Creative Assembly, Activision, 2002) et Lords of the Realm II (Impressions Games, Sierra, 1996). Cette sélection rapide est constituée à chaque fois de suites1 : le Moyen Âge semble être une valeur sûre pour exploiter une licence, un moteur de jeu et un gameplay qui ont bien fonctionné dans un premier volet. Dans nos exemples, ce premier volet n’a, généralement, pas de lien direct avec la période (sauf pour Lords of the Realm) ; on peut y voir la preuve que la période médiévale continue de fasciner, ou encore qu’elle constitue un univers suffisamment riche et partagé pour permettre aux développeurs de trouver un refuge scénaristique accessible aisément en cas de panne d’inspiration…

AgeOfEmpireII MedievalTotalWar

À gauche : Age of Empire II : The Age of Kings - À droite : Medieval : Total War
 

 CrusaderKingsII LordsOfTheRealmsII

À gauche : Crusader Kings II -  À droite : Lords of the Realms II
 

Ces jeux de stratégie consistent pour la plupart à gérer un royaume (ou un duché, ou un empire, en fonction de vos ambitions et des possibilités du jeu…), à mener à bien des conquêtes, militaires ou diplomatiques, et à tirer le meilleur profit des ressources disponibles. Ce qui rend ces jeux réalistes est rarement la reconstitution d’une chronologie avérée, mais plutôt un univers fictionnel cohérent avec les conditions de vie au Moyen Âge. L’espace des actions possibles pour le joueur est limité par des règles à vocation réaliste sans artifice comme des pouvoirs magiques, la possibilité d’appeler une puissance divine ou le développement de technologies anachroniques.

 



1 Même pour Medieval : Total War, qui est en fait la suite de Shogun : Total War. Il existe un Medieval 2 : Total War, qui est le quatrième épisode de la série, après un Rome : Total War servant de troisième épisode. Oui, tout cela est un peu confus, nous sommes d’accord.

Un autre type de jeu correspond à cette volonté de ne pas trahir le sentiment du joueur d’être immergé dans une réalité historique cohérente : les combats en armure, avec des armes d’époque. C’est l’objectif de Chivalry : Medieval Warfare (Torn Banner Studios, 2012) qui, à partir d’une vue à la première personne comme dans un jeu de tir, offre au joueur la possibilité de participer à des joutes en duel ou en mêlée générale. Au départ, le jeu a été développé comme un mod (voir Fanny Barnabé, Le modding) de Half Life 2 (Age of Chivalry), puis son créateur en a créé une version stand-alone.

ChivarlyMediavalWarfare

 Chivalry : Medieval Warfare

 

Le dernier exemple de jeu historiquement réaliste nous éloigne du Moyen Âge occidental pour nous plonger dans le Japon féodal de la période Sengoku, avec Nobunaga’s Ambition. Série de jeux multiplateformes appartenant à la catégorie des jeux de grande stratégie, il se rapproche ainsi des premiers jeux évoqués dans cet article. Le premier Total War (Shogun : Total War, 2000) prenait aussi cette période comme cadre historique.

NobunagasAmbitionCreation  Nobunaga's Ambition: Creation (PS4, 2014)

 

Le Moyen Âge fantasmé

MMORPGLoin de s’inspirer de conditions historiques, comme les titres précédents, les jeux vidéo s’inscrivant dans un univers de fantasy se caractérisent plutôt par un fort ancrage littéraire. En effet, les œuvres fondatrices de l’imaginaire médiéval-fantastique sont également les sources – directes ou indirectes – de nombreuses œuvres vidéoludiques.

C’est le cas, tout d’abord, des légendes arthuriennes, qui ont inspiré d’innombrables adaptations ludiques, parmi lesquelles on peut citer le jeu de rôle en ligne massivement multijoueurs (ou « MMORPG ») Dark Age of Camelot (Mythic Entertainment, Wanadoo, 2001). Dans cet univers où se côtoient mythes celtiques et nordiques, le territoire est ravagé par les conflits à la suite de la mort du roi Arthur. Le joueur est invité à créer un personnage (qui pourra être Breton ou Viking mais aussi Nain, Elfe ou encore Demi-ogre) et à le faire évoluer en compagnie de milliers d’autres joueurs.

Capture d'écran du MMORPG
Dark Age of Camelot
 

L’inspiration littéraire de ce type de jeux se marque, ensuite, par l’influence notable qu’a exercée l’œuvre de J.R.R. Tolkien. D’une part, les seules adaptations vidéoludiques du Seigneur des Anneaux ou de l’univers de la Terre du Milieu en général représentent une masse importante de jeux. Ceux-ci couvrent différents genres tels que le jeu d’action-aventure (avec notamment Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi ; Electronic Arts, 2003), le jeu de stratégie (avec Le Seigneur des Anneaux : La Bataille pour la Terre du Milieu II, pour citer le plus récent ; Electronic Arts, 2006), le jeu de rôle (voir, pour exemple, Le Seigneur des Anneaux : Le Tiers Âge ; Electronic Arts, 2004), ou encore le jeu de rôle massivement multijoueurs (avec Le Seigneur des Anneaux Online ; Turbine, 2007). La série s’est très récemment agrandie avec la sortie du jeu d’action-aventure La Terre du Milieu : L'Ombre du Mordor (Monolith Productions, Warner Bros, 2014), qui met le joueur dans la peau d’un rôdeur nommé Talion, chargé de parcourir les terres hostiles du Mordor pour assassiner des capitaines orques.

 TerreDuMilieu

 Le jeu La Terre du Milieu : L'Ombre du Mordor prend place dans l'univers de fantasy élaboré par J.R.R. Tolkien

 

WorldOfWarcraftD’autre part, l’influence de Tolkien ne s’est pas bornée à ces adaptations directes : certains traits narratifs de son œuvre se retrouvent en effet dans des jeux qui ne se revendiquent pas du même univers. Ainsi, les créatures brutales nommées « Orques », introduites par cet auteur, jouent un rôle prépondérant dans la série de jeux de stratégie en temps réel Warcraft2 (où leur opposition aux Humains constitue le fondement de l’histoire et du gameplay). Ces créatures font également partie des peuples que le joueur peut incarner dans le célèbre MMORPG World of Warcraft (développé par Blizzard Entertainment en 2004), jeu d’inspiration médiévale-fantastique au succès planétaire, encore parcouru par plusieurs millions de joueurs à l’heure actuelle, et dont la dernière extension (World of Warcraft : Warlords of Draenor) vient tout juste de paraître.

 

L'univers de World of Warcraft met en scène différentes factions
parmi lesquelles on retrouve les Elfes, les Nains ou encore les Orques
 

ArcheAgeWorld of Warcraft, Le Seigneur des Anneaux Online et Dark Age of Camelot sont, par ailleurs, très loin d’être les seuls exemples de jeux massivement multijoueurs s’inspirant de ce Moyen Âge fantasmé pour construire leur cadre narratif. Parmi les sorties récentes, l’on peut ainsi citer ArcheAge (XL Games, 2014 pour l’Europe), jeu de rôle au système de combat classique mais faisant la part belle à l’artisanat et à l’économie virtuelle. On pensera également – parmi bien d’autres titres, et malgré sa réception critique assez mitigée – à The Elder Scrolls Online (ZeniMax Online Studios, Bethesda Softworks, 2014), dernier opus de la célèbre franchise The Elder Scrolls. Dans le domaine hautement concurrentiel du MMORPG, l’imaginaire médiéval-fantastique semblerait donc constituer une valeur sûre : un cadre suffisamment familier pour permettre une appropriation rapide par les joueurs, et suffisamment riche pour accueillir des réinterprétations diverses sans conduire à la lassitude de ces mêmes récepteurs.

Capture d'écran du nouveau MMORPG ArcheAge

 

Ce bref panorama pourrait encore largement s’étendre, la fantasy étant aussi l’un des genres thématiques privilégiés du jeu de rôle « non multijoueurs ». Outre le MMORPG cité ci-dessus, la série The Elder Scrolls compte, par exemple, divers jeux « solo3 » prenant place dans le même monde médiéval-fantastique. Le dernier en date, The Elder Scrolls V : Skyrim (Bethesda Softworks, Ubisoft), paru en 2011, a été salué par la critique comme par les joueurs pour la complexité de l’univers qu’il proposait ainsi que pour la grande liberté laissée au joueur concernant la manière de l’explorer. Ce dernier y incarne un personnage nommé le le Dovahkiin, « l'Enfant de dragon », seul individu capable de s’opposer aux dragons qui ravagent le monde de Bordeciel. Le jeu continue encore d’évoluer à l’heure actuelle en raison du nombre important de « moddeurs » qu’il a rassemblés, ceux-ci ne cessant d’y ajouter du contenu (nouvelles quêtes, nouveaux territoires à explorer, nouveaux modes de jeux, etc4).

 



 

2Son premier opus, Warcraft : Orcs and Humans, a été développé par Blizzard Entertainment en 1994.

3 Un jeu ou un mode de jeu « solo » ne peut être utilisé que par un joueur à la fois (celui-ci affronte donc l’ordinateur).

4 Voir à ce sujet la multitude de mods rassemblés sur le site Skyrim Nexus – mods and community. (consulté le 22/11/2014).

On pourrait également citer ici la série de jeux de rôle Fable (Lionhead Studios, Microsoft, 2004 pour le premier opus). Celle-ci fonde une partie de son gameplay sur les oppositions manichéennes qui caractérisent souvent les fictions médiévales-fantastiques (opposition entre lumière et ténèbres, bien et mal, magie blanche et magie noire,…) : chaque jeu de la franchise propose effectivement au joueur de choisir l’orientation morale de ses actes (sauvera-t-il les villageois d’une bande de voleurs ou participera-t-il au pillage, par exemple ?), avec pour conséquence de rendre son avatar soit angélique, soit démoniaque.

 

fable TheElderScrollsV

Les jeux de la série Fable permettent au joueur de choisir l'orientation morale de son personnage -Le jeu The Elder Scrolls V : Skyrim se déroule dans un monde ravagé par les dragons
 
 
 

MyghtyQuestL’imaginaire médiéval ne s’est toutefois pas contenté d’inspirer les développeurs de jeux de rôle et a parfois donné lieu à des expérimentations génériques plus inattendues. Ainsi le récent jeu d’« action-stratégie » The Mighty Quest for Epic Loot (Ubisoft, 2014) fonde-t-il son principe sur le symbole médiéval qu’est le donjon : le joueur y est invité à construire sa propre tour et à la parsemer de pièges pour empêcher les autres utilisateurs d’y pénétrer et de lui dérober ses trésors. Ensuite, lors d’une autre phase de jeu, il peut attaquer, à l’aide de son avatar, les édifices élaborés par les autres joueurs pour tenter lui-même de les piller (les éventuels gains pouvant alors être utilisés pour améliorer les pièges de sa propriété). Notons que l’esthétique de l’œuvre se caractérise par une forte tendance humoristique, laissant ainsi à penser que la fréquence du recours au médiéval-fantastique dans le jeu vidéo constitue également une porte ouverte à la parodie.

 Construction d'un donjon dans The Mighty Quest for Epic Loot

 

Enfin, notons que le Moyen Âge occidental n’est pas la seule source d’inspiration médiévale-fantastique des jeux vidéo : le Japon féodal, ses légendes et ses mythes ont aussi influencé certains développeurs. En témoigne le ravissant Ōkami (Clover Studio, Capcom, 2006), jeu d’action-aventure dans lequel le joueur manipule un loup blanc, lui-même incarnation de la déesse shintoïste Amaterasu. À l’aide d’un « pinceau céleste » et de différents mouvements de calligraphie, l’utilisateur devra ramener la vie dans un univers envahi par les ténèbres et dont les graphismes s’inspirent des estampes japonaises.

 

Okami

Le jeu Ōkami prend place dans un Japon médiéval fantasmé, représenté sous forme d'estampes
et avec lequel le joueur peut interagir via l'utilisation d'un pinceau
 

Le présent inventaire est très loin d’être exhaustif et s’est, en vérité, limité à une série de titres à succès (qu’il s’agisse de succès critiques ou commerciaux). Il suffit toutefois à souligner l’importance des thématiques médiévales au sein des jeux vidéo et ce, indépendamment de l’évolution du médium : présent dès les débuts de son histoire et encore populaire aujourd’hui, couvrant un large panel de genres vidéoludiques, suffisamment familier des joueurs pour autoriser les développements parodiques, le Moyen Âge dans les jeux semble encore avoir un bel avenir devant lui.

 

Fanny Barnabé et Björn-Olav Dozo
Novembre 2014

 

crayongris2Fanny Barnabé est chercheuse au service de sociologie de la littérature. Ses recherches doctorales portent sur la narrativité des univers fictionnels et la réappropriation des univers fictionnels par le lecteur. Elle a récemment publié Narration et jeu vidéo.

crayongris2Björn-Olav Dozo enseigne les Humanités numériques et les Cultures populaires à l'ULg. Ses recherches s'inscrivent dans ces domaines. Il dirige aussi la collection d'ouvrages «Culture contemporaine» de Beebooks.

 

Voir aussi : DOSSIER/Les jeux vidéo

 


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