Les films médiévaux : créatures mythiques et preux chevaliers

N'ayant jamais réellement réussi à s'établir comme un genre, le film médiéval a connu il y a quelques années une montée en puissance auprès d'un public très ciblé : celui des adolescents. Si le phénomène semble s'estomper depuis quelques années, il serait dangereux de sous-estimer une catégorie de films qui ne cesse de se renouveler, comme le prouve sa place dans l'histoire du cinéma.

Période sombre et peu glamour, le Moyen Âge n'a jamais réussi à devenir le décor de grandes productions cinématographiques contrairement à d'autres époques. S'il existe une multitude de raisons à cela, les principales sont suffisamment évidentes pour être rapidement citées : la France a toujours préféré le siècle des Lumières à sa période médiévale (à l'exception de Jeanne d'Arc), l'Angleterre s'est attardée davantage sur des personnages historiques (notamment les rois et la famille Tudors) que sur l'époque en elle-même et les USA n'ont tout simplement pas d'affinités avec cette période de l'Histoire.

BoleynParallèlement à cela, les grands studios (américains et européens) ne se sont jamais réellement intéressés, dans le premier demi-siècle de l'existence du cinéma, au public adolescents. Il n'existait, aux yeux des producteurs, que deux types de publics, à savoir les enfants et les adultes. Quelques tentatives de mélanger les publics sont pourtant louables mais reposent, presque systématiquement, sur des récits d'aventures liés à la littérature populaire telle que celle de Jules Verne ou Alexandre Dumas.

Anne Boleyn d'Ernst Lubitsch (1920)
Paradoxalement, seul le cinéma allemand se spécialise dans les Kostümfilm
 

Dire que l'univers médiéval n'existe pas ou peu au cinéma alors est pourtant une erreur. Relativement discret dans sa forme pure, le récit médiéval trouve sa place dans des genres annexes, extrêmement codifiés, selon les codes issus en réalité des contes et légendes de l'époque. Tel est le cas, par exemple, du Magicien d'Oz, où une jeune princesse (Dorothy) s'associe à un paysan (l'Épouvantail), un chevalier en armure (le Bucheron) et un lion (emblème des grands rois anglais) pour combattre une sorcière et solliciter l'aide d'un enchanteur. Ces codes, simples et universels, peuvent être également appliqués au western, où d'ordinaire un preux chevalier (cowboy solitaire) sauve une princesse (femme, ville) d'un dangereux dragon (bandit faisant régner la peur). On le voit, l'univers visuel du Moyen Âge, relativement pauvre, l'exception faite des châteaux, ne pouvait séduire un public déjà habitué à ces codes dans d'autres genres.

 

L'exception d'Adventures of Robin Hood

Dans les années 30, les studios vont subir de plein fouet le célèbre Code Hays, véritable bible de la censure cinématographique. Face aux contraintes imposées par le Code, la Warner, spécialisée en films de gangsters, se doit de trouver de nouvelles idées et surtout un nouveau genre à exploiter. Après avoir penché un premier temps dans l'adaptation de quelques pièces de William Shakespeare, c'est finalement Robin des Bois qu'elle choisira. Dès lors, la Warner va mettre tous ses atouts en place : Technicolor encore balbutiant, couple mythique (Errol Flynn et Olivia de Havilland) et une bonne dose d'action vont faire de ce film un succès incontesté et incontestable, et l'un des premiers films non officiels «pour ados» puisque le British Film Institute classera, en 2005, Les Aventures de Robin des Bois dans les  «50 films à voir avant 14 ans» !

Technicolor
Technicolor, grandeur de la reconstitution, action continue, la recette d'un succès incontestable
 

Pourtant, malgré le succès critique et public du film de Curtiz, les films médiévaux resteront cantonnés à quelques séries B, notamment chez Jacques Tourneur et les studios de la Hammer, le tout tournant régulièrement autour de quelques figures emblématiques de la littérature (Ivanhoé, Prince Valliant) ou de l'indémodable Robin des Bois. Il faudra attendre les années 60 pour retrouver un certain souffle épique dans des productions de plus en plus orientées pour les jeunes adultes : c'est la mode des vikings au cinéma (Les Vikings de Richard Fleischer, la Ruée des vikings de Mario Bava, les Drakkars de Jack Cardiff) et des adaptations théâtrales (Hamlet de Laurence Olivier, Becket de Peter Glenville, MacBeth de Roman Polanski) et, occasionnellement, les comédies (Sacré Graal! des Monty Python). Rares sont toutefois les œuvres qui ne sont pas européennes, Hollywood n'osant pas trop s'aventurer sur le terrain du Moyen Âge, l'échec du Robin des Bois de Disney n'arrangeant rien.

Les Sept Samourai

Les Sept Samourais d'Akira Kurosawa (1954) - le jidai-geki, genre populaire au Japon, a su traverser les frontières notamment par ses univers de combats médievaux mais ne vise pas nécessairement le public adolescent en priorité

 

Le phénomène Star Wars

Star wars1977 : George Lucas révolutionne la conception économique du cinéma en offrant Star Wars, divertissement très influencé par le livre de Joseph Campbell (théoricien des mythes et légendes) et reprenant, de facto, des codes communs aux films médiévaux : le preux chevalier blanc luttant, épée à la main, contre un chevalier noir, s'associant pour ce faire à deux bandits ressemblant à Robin des Bois et Petit Jean... Surtout, Star Wars va mettre en évidence qu'il existe un public trop longtemps ignoré, avide de sensations fortes, de dépaysements et grand consommateur de films et d'objets dérivés : les adolescents. C'est la naissance de ce qui est aujourd'hui appelé les blockbusters, ces films aux coûts astronomiques destinés à remplir les salles et exploser les box offices à travers le monde.

Avides de trouver l'équivalent de Star Wars à moindre coût, les studios vont se diriger vers une littérature spécialisée, niche de fans et d'adolescents en tous genres : la fantasy. Les années 80, sous l'impulsion de Star Wars, vont se mettre à adapter contes et légendes pour ce nouveau public : écartant les textes de Tolkien, jugés trop sombres (en raison de l'adaptation très adulte du Seigneur des Anneaux de Ralph Bakshi en 1978), c'est principalement la légende d'Arthur et des chevaliers de la table ronde qui séduit, notamment grâce à l'excellent Excalibur de John Boorman. On retrouve aussi Conan le barbare de John Milius et Tygra de Ralph Bakshi, tous deux sur un mode plus  «sauvage»  mais tout aussi culte.

Conscients de l'intérêt que le public porte de plus en plus aux aventuriers du Moyen Âge, les productions avec un cadre médiéval vont fleurir dans les années 90 : pas moins de trois Robin des bois seront réalisés entre moins de trois ans, dont le nanar avec Kevin Costner et la parodie de Mel Brooks. La comédie empiète désormais également sur le territoire médiéval, se servant de celui-ci comme décor un peu fou pour des héros qui n'y ont pas leur place : Les Visiteurs cartonnent en France tandis que Sam Raimi expédie Bruce Campbell et sa tronçonneuse en pleine guerre mystique dans Evil Dead III : l'Armée des ténèbres. Richard Gere ne sera pas en reste dans Lancelot, mais cette fois la comédie est involontaire.

Affiches

Les deux tendances, réalistes et fantasy, vont alors dominer le cinéma : Braveheart est couronné aux Oscars tandis que Cœur de dragon est un succès public indéniable et Excalibur, l'épée magique remporte un franc succès également. L'âge d'or est pourtant de courte durée, notamment à cause de la paresse des producteurs de se renouveler : les suites des Visiteurs sont des échecs critiques et surtout publics, Cœur de dragon 2 sombre vite dans l'oubli et Jeanne d'Arc de Luc Besson séduit autant qu'il divise. Refusant de perdre leur public adolescent, les studios misent sur l'originalité en intégrant la musique rock (Chevalier) et l'humour ethnique (Le Chevalier noir), sans grand succès. À l'aube des années 2000, le décor médiéval devient un cache-misère pour des productions aux budgets restreints, aux intrigues insipides et aux séries B voire Z mal fichues. Même Tigres et Dragons d'Ang Lee n'exploite guère son décor pour y placer une histoire d'amour somme toute banale.

 

Peter Jackson, l'élu des geeks

En décembre 2001, Peter Jackson va offrir au monde une saga qui marquera profondément une génération, comme l'avait fait Lucas avant lui : avec son adaptation de la trilogie du Seigneur des Anneaux, Jackson va remettre la fantasy au goût du jour en la rendant mature mais toujours destinée aux adolescents, offrant un spectacle lyrique et épique digne de Star Wars, en plus adulte mais pas trop. C'est le début d'une nouvelle ère, les adaptations de romans à succès en fantasy : Le Monde de Narnia et Eragon ne sont que les plus connus, même s'ils ne connaissent pas le même succès que la trilogie du Seigneur des Anneaux.

Chevaliers

Chevaliers, nains, elfes, magiciens, dragons, combats dantesques et quête mystique
 

De grandes productions épiques vont également voir le jour, axant majoritairement leur récit sur des batailles épiques, des histoires d'amour teintées de sexe et un ton résolument revigoré pour ne pas dire jeune : Le Roi Arthur, Kingdom of Heaven et plus tard Robin Hood vont trouver leurs publics sans peine. Contrairement à Valhalla Rising, film du scandinave Nicolas Winding Refn qui, à trop faire philosophique et métaphysique, ne séduit guère le jeune public.

Si la tendance aujourd'hui semble indiquer que les récits médiévaux fonctionnent mieux à la télévision qu'au cinéma (les séries Tudors, Les piliers de la terre, Borgia et, surtout, l'incroyable succès de Game of Thrones), ce n'est sans doute pas tant dans la possibilité d'y trouver des moyens techniques et économiques plus appropriés qu'au cinéma que dans la présence majoritaire des adolescents devant leurs petits écrans. Peut-être finalement les récits médiévaux, en ce qu'ils convoquent créatures mythiques et preux chevaliers, princesses en détresse et manigances politiques, combats épiques et personnages historiques, ne sont finalement destinés qu'aux plus sensibles à ces sujets, à savoir les adolescents avides d'aventures et de découvertes.

 

Bastien Martin
Novembre 2014

 

crayongris2 Bastien Martin est chercheur en Arts et Sciences de la Communication. Ses recherches doctorales portent sur le cinéma d'animation belge.