Chômeur Blaster, jeu vidéo liégeois créé en atelier

menuChômeur Blaster, jeu vidéo conçu à Liège par une dizaine de néophytes en programmation, se situe à la croisée du jeu vidéo traditionnel et du serious game militant. Il prend au premier degré la « chasse aux chômeurs » pour la dénoncer. Explications de Pierre-Yves Hurel, animateur du premier atelier Média dédié au jeu de l'association d'éducation permanente D'une Certaine Gaieté.

 

Dans Chômeur Blaster, vous incarnez l'autorité d'une Belgique devenue totalitaire. Finies les mesures de contrôle et autres pressions exercées sur les chômeurs, place à une politique radicale. Alors que les chômeurs (jeunes, personnes handicapées, mères de famille) tentent de rallier l'esplanade où se déroulera la manifestation, voire la révolution, vous avez pour mission de les éliminer par tous les moyens : les forces armées tirent à vue, Onem Fm diffuse une propagande déroutante, Forem Air One distribue des formulaires pour ralentir la population.

Ce jeu a été réalisé dans le cadre d'un atelier multimédia organisé par D'une Certaine Gaieté. Le plan était de réunir une dizaine de néophytes en programmation trois heures par semaines pendant trois mois en vue de sortir un prototype de jeu vidéo. Le tout en utilisant un programme permettant de « coder » sans connaître de langage de programmation, à savoir Construct 2.

Des gamers, pour faire un jeu « sérieux » ?

Fin février 2014, nous avons proposé lors de la séance d'introduction de concevoir un jeu vidéo sur le chômage – thème de prédilection de l’asbl D'Une Certaine Gaieté. Ceci a fait écho avec les situations des participants, dont un seul est employé à temps plein de manière stable et n'avait plus à subir la période de recherche d'emploi. Le thème fut vite adopté et nous nous sommes mis d'accord sur la création d'un tower defence : des chômeurs arrivent par vagues et se dirigent vers la place sur un chemin tracé. À charge du joueur de les en empêcher en disposant des unités sur les côtés de la route pour éliminer les unités.

Sur le fond, le groupe a donc décidé de se ré-approprier un thème politique – en prenant au premier degré la « chasse aux chômeurs » régulièrement dénoncée par une partie de la société – pour rire mais aussi pour délivrer un message. Et si le procédé peut étonner, c'est qu'il est très rare que le producteurs professionnels se risquent à la satire et à la caricature (voire même à l'humour de manière générale).

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Et dans lequel on ne peut pas gagner ?

Les participants partageant certaines références vidéoludiques – les jeux vidéos pensés pour les joueurs réguliers, ainsi que des œuvres anciennes1 – il n'était pas envisageable de négliger le but de divertissement et d'amusement du joueur. Il arrive en effet que les serious game2 – jeux qui se veulentutilitaires (militantisme, associatif, politique, publicitaire, etc.) – fassent passer le plaisir au second plan. Surtout, beaucoup de jeux cherchant à démontrer un propos font vivre des situations volontairement pénibles3. S'il est donc impossible de gagner dans Chômeur Blaster (le joueur se faisant déborder ou ayant accidentellement éradiqué l'Humanité), un système de score vient stimuler les réflexes des joueurs assidus. C'est toute l'ambiguïté volontaire du jeu, qui amène le joueur à s'amuser d'une situation dramatique (pour mieux propager sa thèse ?).

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Des amateurs, pour un jeu professionnel ?

01 a01 eDe séance en séance, les mécaniques de jeux se sont étoffées. Au point qu'il nous a semblé possible – et enthousiasmant – de viser un résultat quasiment professionnel. Un participant, Gregory Mertz, s'est chargé de la bande son. Quant aux graphismes, ils ont été confiées à un dessinateur indépendant – Valentin Mélon. Le résultat final, s'il revient à la critique et au public de l'évaluer, démontre à ce stade à quel point la programmation devient au fil des années une compétence de plus en plus accessible au grand public. Dans le jeu vidéo aussi, le concept de « pro-am » – l'amateur aux standards professionnels –  de Patrice Flichy4 pourrait se révéler de plus en plus pertinent.

 

Le jeu de tous les paradoxes ?

Chômeur Blaster est le fruit d'un travail de groupe et donc de l'hybridation de différentes références ludiques et thématiques. Il est, d'une certaine manière, le jeu de tous les paradoxes : il tente d'amuser le joueur sur fond de message social, il permet de chercher la performance (le score) mais ne peut aboutir que sur la défaite (le game over), il se veut semi-professionnel alors qu'il a été conçu par des néophytes. En somme, un joli clin d'oeil à D'une Certaine Gaieté,qui ne jure que par le paradoxe et la dérision.

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Pierre-Yves Hurel
Juin 2014

 

crayongris2Pierre-Yves Hurel est doctorant en Arts et Sciences de la Communication, à la Faculté de Philosophie et Lettre de l'Université de Liège. Il réalise une thèse sur les différentes formes de récits interactifs (jeux vidéo, webdocumentaires, films interactifs, etc.). Il est aussi animateur du premier atelier Média dédié au jeu de l'association D'une Certaine Gaieté.

 

Le jeu est désormais disponible sur le site de l'Entonnoir


 

1 Voir l'article sur le retrogaming 

2 Voir l'article sur les jeux sérieux

3 Voir par exemple la scène d'embouteillage de Every Day The Same Dream (Molleindustria)

4 FLICHY P., 2010, Le sacre de l'amateur, Seuil : Paris.