Frédéric Saenen, Stay behind

SaenenPolar belge, audacieux et subtil, le dernier Saenen est servi par une langue de haute volée. En revisitant les pages les plus noires de l’histoire criminelle récente de notre pays, il questionne cette frontière si chère à la meilleure littérature : celle qui est censée séparer le Bien et le Mal.

Il fallait oser le faire, un roman sur les tueries du Brabant ! Et pas seulement : un roman qui se garde de tout moralisme larmoyant et prend le parti de la noirceur, sans tomber non plus dans les excès d’une provocation facile. Bref, un pari risqué, brillamment relevé par Frédéric Saenen, qui creuse avec ce texte ce qu’on pourrait appeler la veine du polar belge, voire sérésien. L’action se déroule en effet principalement dans cette banlieue liégeoise, où Mickaël, narrateur trentenaire, accompagne son Parrain en fin de vie et écoute ses étonnantes confessions. Son Parrain avec majuscule, parce que celui qui jure en wallon sur les infirmières fut aussi celui qui l’a recueilli et élevé. On s’y attache vite, au Parrain ; pourtant, c’est loin d’être un enfant de cœur : imprégné d’un racisme viscéral (notamment envers ces « Salcrevéritals » qui lui ont pris son boulot), il est aussi violent, fanatique des armes à feu et pas très regardant sur ses fréquentations.

Et voilà le lien avec les fameuses tueries : le grand secret que Parrain révèle à Mickaël, c’est qu’il aurait trempé dans ces terribles crimes qui ont secoué toute la Belgique dans les années 1980. Est-ce vraiment possible ? Comment Parrain a-t-il pu en arriver là ?

Au fil d’une habile construction qui fait alterner les confessions de Parrain à Mickaël et les flash-backs dans les années 1980, l’auteur nous tient en haleine d’un bout à l’autre du récit, en nous gratifiant de quelques scènes d’anthologie. Les descriptions des milieux interlopes de l’extrémisme provincial et militarisé, de son fanatisme révolutionnaire et de ses camps d’entraînement sont proprement glaçantes. La manière dont le texte parvient aussi à rendre compte de l’enchevêtrement de diverses formes de violence (sexuelle, sociale, idéologique, armée) est également captivante. Enfin, la langue de Saenen est loin d’être un simple véhicule transparent du récit : ciselée à la manière célinienne, en particulier dans les dialogues, elle donne une épaisseur de vécu et une finesse psychologique qui fait pendant à la froideur métallique des coups de feu. Cette langue, c’est surtout celle d’ici, de Liège, d’Ougrée. Sans jamais tomber dans le folklorisme, l’auteur lui donne une véritable patine littéraire, au service de son intrigue.

À lire rivé au siège, ou même débout, dans le bus Liège-Seraing, sans s’arrêter.

 

François Provenzano

 
Frédéric Saenen, Stay behind, Neufchâteau, Weyrich, coll. « Plumes du coq », 2014.
Voir aussi Les écrivains ULg ont du talent ! Sorties de presse
 

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