Coup de projecteur sur le polar français

lecorreHervé Le Corre, Après la guerre

Venu de la Série Noire (De sable dans la bouche, Copyright), Hervé Le Corre arrime ses intrigues très noires à un terreau souvent nauséabond, tel la corruption ou le racisme. Dans son nouveau polar, l’auteur des Derniers retranchements mêle deux époques et deux guerres à travers un commissaire de police qui, dans les années 1950, voit resurgir son passé saumâtre de collaborateur du temps où il était inspecteur et un fils de déporté envoyé combattre en Algérie. Sur fond de rafles et de déportations, d’une part, d’opérations nocturnes où la mort guette derrière le moindre repli de terrain, d’autre part, l’écrivain bordelais dresse ainsi, désillusionné, un parallèle entre les Juifs et les Algériens transformés en objets de haine. Ce constat désenchanté mais non dépourvu d’humanité est portée par une langue sobre, sans effets, presque distanciée qui le rend d’autant plus impitoyable. (Rivages)

 

MathieuNicolas Mathieu, Aux animaux la guerre

C’est dans sa région des Vosges que Nicolas Mathieu, né en 1978 à Épinal, situe son premier roman dont, comme dans les romans de Gérard Mordillat (Les Vivants et les Morts, Rouge dans la brume), le cadre est la crise sociale et économique générée par la fermeture d’usines et son lot de misère sociale et de désespérance humaine. Martel, ouvrier syndicaliste, a piqué dans la caisse du CE de son usine, notamment pour pouvoir payer la résidence où est placée sa mère. Suite au déménagement d’une machine par le patron, il espère noyer le poisson. Avec son copain Bruce, dealer bodybuildé et videur comme lui lors de concerts locaux, il enlève une prostituée pour le compte de caïds. S’échappant de la masure d’un ancien de l’OAS où elle était enfermée, la jeune fille est recueillie par Rita, une inspectrice du travail. Multipliant les personnages, généralement paumés ou déclassés, tels ces jeunes dont l’horizon est bouché, même si l’amour peut venir s’insinuer dans les failles du quotidien, l’auteur construit son intrigue comme un puzzle aux allures de roman noir, très noir. (Actes Sud)

 

SylvainDominique Sylvain, Ombres et soleil

Auteure prolifique, Dominique Sylvain a, de livres en livres, imposé sa patte singulière dans le monde du polar français. Ombres et soleil, qui fête les vingt ans de la collection «Chemins nocturnes» chez Viviane Hamy, succède à Guerre sale, un roman sur fond de trafics d’armes avec l’Afrique dont il est d’une certaine manière le prolongement. Le corps du patron de la Criminelle a été retrouvé sur un chantier à Abidjan et il apparaît que la balle tirée à bout portant vient de l’arme de Sacha Dugain, qui avait conduit l’enquête précédente. Lola, commissaire à la retraite, et son amie Ingrid, strip-teaseuse américaine, vont tenter de prouver l’innocence de leur ami. De sa plume vive, sans gras inutile, tenant en haleine le lecteurs en multipliant les rebondissements, l’auteure de La Nuit de Geronimo et de Passage du désir (devenu un téléfilm) met en scène, comme nombre de ses confrères et consœurs en littérature noire, un monde politique et affairiste malade, miné par la soif de pouvoir et d’argent, où tout est bon, même le pire, pour obtenir un poste ou une gratification. C’est salutaire, sans doute, mais terriblement désespérant aussi. (Viviane Hamy)

 

KonateMoussa Konaté, Meurtre à Tombouctou

Ce quatrième roman policier de l’écrivain, dramaturge et éditeur malien mort en 2013 à Limoges, à 62 ans, cofondateur du festival Étonnants voyageurs à Bamako, prend une résonnance particulière suite à la tragédie vécue par Tombouctou lors de son occupation par les djihadistes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: le même jour où le cadavre d’un jeune Touareg est découvert aux abords de la ville, un cavalier enrubanné de noir vient professer des menaces de mort à l’égard des «sales mécréants de Français». Venu enquêter sur place, le commissaire Habib, héros récurrent de l’auteur, a fort à faire entre les batailles de clans et les pressions pour qu’il s’en retourne à Bamako. Pendant ce temps-là, son adjoint et un agent du Renseignement français découvrent la cité légendaire, et le lecteur à leur suite. L’intrigue policière offre en effet à Moussa Konaté l’opportunité de nous dévoiler avec intelligence et profondeur la richesse culturelle et humaine de son pays. Et plus spécifiquement ici de raconter le monde touareg qui nous est inconnu, notamment lors de la visite d’un campement. Et toujours plane sur la région une menace islamiste qui, dans la réalité, prendra effectivement corps. (Métailié)

 

MerleClaude Merle, L’ange sanglant

Qu’est-ce qui donne à un livre son caractère historique? Le fait qu’il se déroule en une époque plus ou moins lointaine est un argument nécessaire mais pas suffisant. Si par exemple, le personnage de Nicolas Le Floch évoluant dans Paris au18e siècle sous la conduite Jean-François Parot ou la série «Voltaire mène l’enquête» imaginée à la même époque par Frédéric Lenormand peuvent être qualifiées d’historiques, ce n’est pas le cas de tous les romans s’inscrivant dans le passé. C’est ainsi que, bien qu’ayant pour cadre la Hollande au 16e siècle, L’ange sanglant échappe à cette catégorisation. Son auteur, le Marseillais Claude Merle, a en effet légèrement désaxé sa focale: c’est moins la reconstitution scrupuleuse d’une époque qui l’intéresse, même s’il se veut fidèle à la vérité historique, que l’intrigue elle-même et son lien avec un célèbre peintre natif de la ville d’Hertogenbosch où une jeune fille a été retrouvée sauvagement assassinée: Jérôme Bosch. D’abord soupçonné, le médecin et alchimiste dont la victime était la servante est amené à coopérer avec le bailli charge de l’enquête, l’éclairant sur les mystères de la nature humaine et sur la complexité de sa pensée. Ils ont fort à faire car d’autres meurtres sont commis dans des mises en scène qui renvoient aux tableaux de l’auteur du Jardin des délices. (MA Éditions)

 

biefnotVéronique Biefnot, Là où la lumière se pose

Naëlle, jeune hermaphrodite rescapée d’un sordide fait divers; Simon, son riche amoureux romancier à succès; Lucas, le fils ado de celui-ci qui a du mal à accepter que son père, veuf, ait une copine; le couple ami, Céline et Grégoire; et même le chat Nicolas, un main coon à l’intelligence particulièrement développée: tous les personnages imaginés par Véronique Biefnot en 2011 dans Comme des larmes sous la pluie, retrouvés l’année suivante dans Les Murmures de la Terre, referment cette trilogie avec Là où la lumière porte. Pour savoir qui elle est vraiment, celle qui s’est appelée Nathanaël a besoin de percer «le voile d’ombre» qui enveloppe son enfance. Et ce chemin, elle en est convaincue, passe par des retrouvailles avec sa sœur qui était enfermée avec elle dans la cave mais dont elle a perdu la trace depuis leur libération. Sa quête la mène dans une sorte d’éco-village aménagé en pleine forêt près de Profondeville. Un monde peuplé de femmes et d’enfants, déserté de ses hommes le jour, sans le moindre vieillard, qui s’apprête à célébrer sa grande fête annuelle. D’abord intriguée et séduite, bientôt inquiète, la jeune femme veut en savoir plus. (Héloïse d’Ormesson)

 

Page : précédente 1 2 3 4 5 suivante