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Coup de projecteur sur le polar français

11 juin 2014
Coup de projecteur sur le polar français

Polars, romans policiers, romans noirs, thrillers: des mots différents pour qualifier des livres souvent réunis sous le même étendard du suspense. Bref panorama du genre en langue française.

Le polar, c’est la face complexe, sombre, noire, désenchantée du roman policier, loin du roman à énigmes, type Agatha Christie. Même si les deux termes sont souvent confondus, il n’est pas non plus tout à fait assimilable au thriller qui joue davantage sur le stress, la tension, l’angoisse, sur la psychologie du tueur et où il n’y a pas forcément d’enquête ni de policiers, «Pour moi, c’est un peu une manière de voir la littérature, une attitude au même titre que le rock ou le marxisme, déclare Patrick Raynal, directeur de la Série Noire entre 1991 et 2004 puis de Fayard Noir jusqu’en 2009, et lui-même auteur. Il représente une façon de résister. Il met généralement en scène une enquête, un délit quelconque, ce qui n’est pas forcément le cas du roman noir qui se caractérise par un angle de vue porté sur le monde. Tous les polars sont des romans noirs, pas l’inverse.» Ancré dans la réalité, dont il tente de décrypter et dévoiler les rouages, travaillant à partir de fait divers ou d’«affaires», ce genre possède une dimension sociale et politique et traduit un mal-être, l’inadéquation de l’homme à la société qui lui est proposée.

ManchettevautrindemouzonADGsiniacfajardieEnfant de Mai 68, le polar français est donc d’abord un lieu de contestation et de résistance. Aux Simenon, Malet, Amila, Japrisot, Exbrayat, San Antonio, Boileau-Narcejac, qui faisaient depuis des décennies les beaux jours du genre policier en France, aux Le Breton, Giovanni, Simonin et autres peintres du milieu des truands qu’ils connaissaient bien, ont succédé, au début des années 70, des jeunes gens prêts à en découdre, par l’écriture, avec une société qu’ils rejetaient. Jean-Patrick Manchette, ancien militant communiste, et, à l’autre bord, ADG, journaliste au quotidien d’extrême-droite Minute, ou encore Jean Vautrin, Frédéric Fajardie, Alain Demouzon et leur aîné Pierre Siniac allaient ainsi jeter les bases du néopolar.

 

delteilbenacquistaIls sont bientôt suivis par une cohorte d’auteurs qui donneront au genre ses lettres de noblesse, les Daeninckx, Jonquet, Benacquista, Izzo, Villard, Quint, Pouy, Delteil, van Oppel, Prudon, Garnier ou Raynal. «Nous sommes tous les enfants des grands romanciers américains des années 30-40 qui décrivaient une Amérique en crise», explique Raynal. Effectivement, tous rendent compte des problèmes et bouleversements de la société française.

Daeninckx pouy«Je ne sais si mes livres sont engagés, réfléchit Didier Daeninckx, mais j’espère que reste perceptible dans mes mots la colère qui me saisit en passant devant les files mornes des Restaurants du Cœur. Ce sont les miens qui piétinent.» Ancien ouvrier typographe, cet ex-militant communiste est venu assez tard au polar, par le biais d’un brûlot, Meurtres pour mémoire, dénonçant la responsabilité du préfet Maurice Papon dans le massacre des Algériens lors de la manifestation parisienne du 17 octobre 1961. Convaincu qu’«en oubliant le passé, on se condamne à le revivre», il mène, et pas seulement dans des livres comme Nazis dans le métro ou Éthique en toc, un inlassable combat contre les «rouges-bruns» (alliances entre ancien communistes et néo-fascistes) et les négationnistes.

«Les auteurs de polars avait pour objet de dresser un état des lieux du monde dans lequel ils vivaient», confie de son côté Jean-Bernard Pouy. Ce n’est donc pas un hasard si c’est dans la foulée des fameuses grèves de décembre 95 à Paris qu’il a imaginé le personnage du Poulpe avec l’intention de faire de la vraie littérature populaire de gauche, une sorte d’anti-SAS, «de l’agit-prop sous forme de roman». Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe (à cause des pulp fiction, les romans de gare américains), né le 22 mars 1960, est le héros d’une collection dont les volumes sont signés par autant de plumes différentes, qu’elles soient confirmées ou débutantes.

À cette génération post-soixante-huitarde, a succédé une nouvelle nourrie d’autres références. Patrick Pécherot, Gilles Bornais, Cédric Fabre, Thierry Crifo, DOA, Serge Quadruppani, Pascal Dessaint,  Hervé Le Corre, Philippe Delepierre, Antoine Chainas, Caryl Férey et d’autres, comme l’Algérien Yasmina Khadra et le Malien Moussa Konate, ou encore une poignée de Belges (Patrick Delperdange, Xavier Hanotte, Pieter Aspe), soit portent un même regard critique et désenchanté sur le présent, ancrant leurs intrigues dans un monde en crise dont ils dénoncent les dérives et dysfonctionnements, qu’ils soient politiques, sociaux, économiques ou moraux, soit, au contraire, préfèrent mettre en scène des enquêtes plus traditionnelles, moins socialement engagées.

Fabrechainaslecorreaspekhadrafereyquadruppani

«Même s’ils sont plus ou moins engagés politiquement, ces auteurs ont besoin de dire quelque chose du monde», constate Raynal qui en avait accueilli plusieurs dans la Série Noire. «Par nature, le roman noir est engagé», affirme Pécherot dont les deux premières livres, Tiuraï et Terminus nuit, parlent respectivement des essais nucléaires en Polynésie et des attentats islamistes à Paris. «Pour autant, engagé ne veut pas dire militant. La littérature militante cherche à convertir, c’est épouvantable.» «Je crois encore au courage des gens, et si je raconte des lâchetés au quotidien, des mondes gris, c’est d’avantage une mise en garde», commente Cédric Fabre dont le premier livre, La Commune des Minots, était bâti autour de la mythologie des barricades et des drapeaux rouges et noirs.

Doa-citoyensNé en 1968, DOA est l’une des personnalités les plus marquantes de cette génération. Dans son troisième roman, Citoyens clandestins (2007, Folio policier), il dévoilait, sur sept cents pages, le milieu particulièrement inquiétant de services secrets. «J’ai toujours trouvé que la littérature noire française avait une vision très caricaturale de l’espionnage français, avance-t-il. Je voulais montrer les coulisses du pouvoir. Pris séparément, tous les éléments sont vrais, ensemble ils sont plausibles. J’ai par exemple découvert que les deux services français, la DGSE et la DRM, n’étant pas inféodés aux mêmes pouvoirs politiques, pouvaient entrer en concurrence. Et je me suis demandé comment ils réagiraient s’ils voyaient des gens qu’ils ont l’habitude de suivre remonter morts à la surface.»

vargasaubertTabachnikastierLa véritable nouveauté de cette génération est la forte présence féminine. Chantal Pelletier, Pascale Fonteneau, Maud Tabachnik, Fred Vargas, Christine Adamo, Sylvie Granotier, Brigitte Aubert, Danielle Thiéry, Dominique Sylvain, Catherine Fradier, Michèle Rozenfarb, Nadine Monfils, Ingrid Astier, Sandrine Collette, ou Dominique Manotti sont parvenues à imposer leur voix, souvent très sombres, au sein d’un univers longtemps largement masculin.

fonteneau«J’ai lu énormément de Séries noires, raconte Pascale Fonteneau, Française installée depuis longtemps à Bruxelles. Les auteurs de cette collection ont un point de vue sur le monde, ils n’écrivent pas pour faire de belles phrases mais pour raconter des histoires qui pourraient être vraies dans le monde d’aujourd’hui. Il est normal que ce que j’écris se fonde dans ce type de littérature. L’angle qui m’intéresse, c’est la vie, mettre en scène des gens qui nous ressemblent, à qui il arrive des choses, extraordinaires ou pas, et raconter l’enchaînement des conséquences. Je casse la trajectoire d’une ligne droite et sereine de la naissance à la mort. J’écris sur le fait que cela se passe rarement ainsi, que des éléments poussent la vie dans une autre direction.»

bussi-avionDepuis quelques années, dans tous les pays, la mode est au thriller, masculin ou féminin, parfois ésotérique, où la tension l’emporte sur la dimension critique ou sociale. Ces lemaitreprincipaux représentants se nomment Franck Thilliez, Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Henri Loevenbruck, Thierry Cohen, Bernard Minier, Gilles Haumont, Michel Bussi, Jérôme Bucy, Guillaume Musso, Thierry Serfaty, René Manzor, Pierre Lemaître, Romain Slocombe ou les Belges Véronique Biefnot et Barbara Abel. «Je ne suis pas particulièrement fan d’enquêtes policières, explique cette dernière. C’est surtout créer une tension entre les personnages qui m’intéresse. Mes livres restent assez ludiques, psychologiquement noirs, mais pas socialement, je ne décris pas une crise sociale par exemple. J’essaie de surprendre le lecteur, pas de le déprimer. Ce sont de bons bouquins à prendre en vacances, je crois.»

 

 

Parutions récentes

 

MaraveliasÉric Maravélias, La faux soyeuse

La couverture ne ment pas: ce sont bien des «racailles», ces jeunes de banlieue encapuchonnés qui, faute d’avenir, saccagent le présent et se droguent à tout va, les héros de La faux soyeuse, le premier livre autobiographique d’Éric Maravélias, 54 ans. Le narrateur est d’ailleurs l’un d’entre eux, représentant d’«une humanité malade et désenchantée, juxtaposition de détresses», mais qui «peut, des heures durant, accrocher [son] regard sur un simple nuage, à la recherche de quelque jour heureux». L’action se déploie en moins de 48 heures scandées par de fréquents retours en arrière. Immersion hyperréaliste dans un monde dur, violent, passablement désespéré et désespérant. Mais pas sans issue puisque l’auteur, qui a été toxico pendant vingt ans, en est sorti. Et si le style, peu dialogué, est en phase avec le propos, l’auteur n’abuse pas de ces mots et tournures de phrases censées représenter une certaine jeunesse actuelle, comme trop souvent dans ce type de littérature. (Série noire)

 

RagougneauAlexis Ragougneau, La Madone de Notre-Dame

Comme décor de son premier roman, cet auteur de théâtre a fait fort: c’est en effet dans le déambulatoire de Notre-Dame de Paris, le lendemain du 15 août, donc de l’Assomption de Marie, la journée «la plus compliquée» de l’année, qu’une belle jeune fille très court vêtue (dite «alerte à la bombe» dans le jargon interne) a été retrouvée morte. Le commandant Landard et son acolyte Gombrowicz apprennent de la bouche du surveillant qu’un jeune type l’a violemment extraite du cortège la veille – où il faut dire qu’elle ne passait pas inaperçue –tout en la menaçant. Le substitut du procureur, une jeune femme mignonne mais glaçante, a un coupable tout trouvé. Mais ce n’est pas l’avis de tous, et certainement pas du policier qui prend l’affaire sous un autre angle. Il a raison: c’est ailleurs, là où on s’attend le moins, qu’il faut chercher. Une enquête rondement menée, avec ce qu’il faut de révélations et de suspense. (Viviane Hamy)

 

DelperdangePatrick Delperdange, Patrick Delperdange est un sale type

Patrick Delperdange, le narrateur du nouveau livre de son homonyme, auteur de romans policiers, se voit engagé par un certain Barnabé Rudge pour… Pour quoi au juste? Il n’en sait rien. Ni pourquoi l’étrange bonhomme lui a offert une Porsche où il a trouvé une carte Visa Gold et… un révolver. Ce qui ne le rassure guère sur ce qu’on attend de lui. Et il ne peut même pas demander d’amples informations à cet étrange commanditaire, il tombe sans arrêt sur sa boîte vocale. Il hésite d’autant plus à accepter cette mission sans objet qu’il apparaît que, sous un autre nom, l’individu fricote avec une amie de sa femme. Quel embrouillamini! De fil en aiguille, au bras d’une belle Black, il se retrouve dans une histoire dont il est loin de titrer la moindre ficelle. Ce polar de l’auteur du Chant des gorges (Rossel 2005) fait partie des quatre premiers et brefs romans imprimés sur papier par OnLit, un éditeur bruxellois qui s’est fait une place dans le numérique depuis 2006. (OnLit Books).

 

MonfilsNadine Monfils, Mémé goes to Hollywood

Où l’on retrouve Mémé Cornemuse, rencontrée déjà dans Les vacances d’un serial killer et l’an dernier dans le foutraque La vieille qui voulait tuer le bon Dieu. Plus de casse de bijouterie, ici, la vieille dame indigne s’est fixé un autre objectif: rencontrer son idole, Jean-Claude Van Damme, dans la Mecque du cinéma où il tourne un film avec Stallone. Riche des économies de la famille qui l’avait si généreusement adoptée, «le cœur léger et la conscience tranquille,» elle prend la route à bord d’une camionnette transformée en fritkot. Au Havre, elle embarque non sans mal sur un ferry qui ne prend pas la direction escomptée. Et en plus, Mémé apprend que JCVD s’est fait kidnapper lors de son séjour en Belgique. Son sang ne fait qu’un tour et la voilà sur la piste de celui qu’elle pense épouser. La plus belge des Montmartroises, auteure des enquêtes du commissaire Léon, signe un polar parodique et déjanté où rien n’est pris au sérieux. (Belfond)

 

 

RussonÉric Russon, Crispations

Pendant que, dans un appartement, un jeune couple qui s’est rencontré quelques heures plus tôt fait l’amour, quatre étages plus haut, une famille s’apprête à poser en direct des questions au président de la République dans à une nouvelle émission télé. Mais l’équipe venue l’interroger se trompe d’étage et c’est le drame. D’autant plus que la fille qui apparaît nue à l’écran dans une position intime n’est pas n’importe qui. Coup monté? Complot? Cabale? Le chef d’ l’État fulmine. Le début du premier roman d’Éric Russon est particulièrement réussi. Et on n’est pas déçu par la suite qui, empruntant différentes pistes et multipliant les mystères, ne lâche plus le lecteur. Il sera question de la fille du président, d’une actrice en plein tournage et de sa sœur à qui elle n’a plus parlé depuis huit ans, d’un paparazzi animé par une soif de revanche et d’un torchon people, d’une dangereuse Organisation aux visées politiques, etc. Dans un style solide, travaillé, subtil, le journaliste belge, animateur de l’émission culturelle quotidienne 50 degrés nord, mène son livre tambour-battant, connaissant bien son monde politique et médiatique et saupoudrant le tout d’un humour souvent savoureux, tant dans la description des situations mises en scène que dans les dialogues aussi réalistes que justes. (Lamiroy)

 

LejeuneBlandine Lejeune, Dernier tango à Lille

Ravet-Anceau, éditeur spécialisé dans les répertoires, cartes et plans, a créé en 2005 une collection de romans policiers, Polars en Nord, qui compte aujourd’hui quelque cent cinquante titres. Et la qualité est au rendez-vous, révélant que le Nord et la Picardie possèdent un grand nombre de bonnes plumes policières. Parmi celles-ci figure Blandine Lejeune. Après un premier roman riche en surprises et judicieusement construit, Embrouilles lilloises, l’avocate pénaliste récidive avec ce Dernier tango à Lille tout aussi abouti. On y retrouve le commissaire Boulard enquêtant sur l’assassinat d’un psychanalyste amateur de femmes et de tango argentin. Il ne croit pas, contrairement aux apparences, que le coupable est son plus ancien patient psychiquement traumatisé par un drame subi enfant. Ne serait-ce pas plutôt vers l’une des femmes dont le nom, hier ou aujourd’hui, pour le meilleur ou pour le pire, est lié au sexagénaire qu’il lui faut diriger ses investigations? Une surprenante enquête racontée avec doigté et humour. (Ravet-Anceau)

 

QuintMichel Quint, Veuve noire

Avec Veuve noire, l’auteur lillois, qui fait partie de la génération apparue au début des années 1980, rappelle qu’il sait intelligemment construire des intrigues et faire vivre des personnages. Il situe sa nouvelle histoire à l’aube des années folles qu’il recrée avec talent sans jamais oublier qu’elles sont l’émanation d'une tragédie, la Première Guerre mondiale. Le 11 novembre 1918, Léonie, dont l’Antoine est mort au champ d’honneur après avoir «ruiné le ménage avec ses folies d’emprunt russe», est abordée puis séduite par Edgar qui se dit chef de rang dans un bal où dansait la Goulue. Il veut s’établir comme marchand d’art, misant sur les cubistes et Dada. Mais après avoir transformé la chambre de sa belle en musée où s’accumulent des Modigliani et des Picasso, le bonhomme disparaît. Et voilà la jeune fille partie, avec un ami photographe, sur les traces de son galant dont ils vont tenter de percer la véritable identité. Leur jeu de piste les plonge dans la vie artistique de l’époque. Et les conduit vers une agence matrimoniale d’un genre spécial. (L’Archipel)

 

LogezFrédéric Logez, On ne pactise pas avec le mal

Lors de travaux d’assainissement dans le parking sous-terrain du quotidien La Voix du Nord, en plein centre de Lille, un corps humain en bon état de conservation est retrouvé recouvert d’un linceul. Selon l’insigne cousu au revers de son pardessus militaire, la victime d’une vingtaine d’années et tué par un balle tirée à bout portant aurait fait partie des blindés britanniques qui, en avril 1945, ont libéré le camp de Bergen-Belsen. Mais ses vêtements sont trop grands, son pantalon trop large. Disposant de peu d’indices – la photo d’une jeune fille, deux cartes de rationnement, un télégramme partiellement illisible, un papier vierge plié en quatre, deux lettres tatouées sur l’avant-bras droit -, le commandant de police Schyers et ses acolytes, La Couronne et Véga, se lancent dans une enquête qui va les plonger dans l’histoire de la capitale des Flandres pendant la Seconde guerre mondiale. L’auteur, dessinateur connu sous le nom de Fred Karltoon, nous entraîne dans un formidable suspense, impeccablement maîtrisé et documenté par lequel il rend hommage à sa région et à ceux qui ont eu le courage de dire «non». (Les lumières de Lille)

 

guerinFrançoise Guérin, Les enfants de la dernière pluie

Apparu en 2007 dans À la vue, à la mort, revenu cinq ans plus tard dans Cherche jeunes filles à croquer, le commandant Lanester se voit confronté, pour sa troisième enquête, au milieu des hôpitaux et des labos pharmaceutiques. Le principal décor est l’Orangerie, un institut psychiatrique pour  séjours de longues durées où son frère est hospitalisé et où il assiste à une défenestration. Le coupable serait un infirmier, pourtant respecté de tous, qui se jette à son tour par la fenêtre. Au fil de ses pérégrinations, le narrateur, personnage touchant par ses incertitudes et ses interrogations introspectives, s’aventure dans un monde nouveau pour lui. Et, guidé par une brillante archiviste, il découvre le mythe fondateur de l’hôpital en même temps que l’histoire de l’aliénation. S’arrêtant notamment à la Première Guerre mondiale qui a provoqué de graves troubles psychiques chez de nombreux poilus. Il va aussi lever le voile sur un pan de son propre passé qui lui était totalement inconnu. (Le Masque)

 

grandEmmanuel Grand, Terminus Belz

C’est par le polar qu’Emmanuel Grand, marqué par l’océan non loin duquel il a passé son enfance, a choisi d’entrer en littérature, et il a bien fait: Terminus Belz est terriblement addictif. Sur l’île de Belz imaginaire, terre bretonne nourrie de légendes, de mystères et de surnaturel, et au-dessus de laquelle plane la célèbre figure de l’Ankou, débarque un jour Marko. Cet Ukrainien d’Odessa pourchassé par la mafia roumaine dont il s’est joué, avec d’autres compatriotes, lors de son passage en France, a été embauché sur un chalutier local. Ce qui déplaît fortement aux autochtones qui, majoritairement au chômage, ne comprennent pas pourquoi ce n’est pas «un marin de île» qui l’a été à sa place. Seuls, pratiquement, le libraire, le prêtre et l’institutrice le soutiennent. Dès lors, lorsqu’un pêcheur qui l’avait pris en grippe est retrouvé mort sur la plage, il fait figure de coupable idéal. Tandis que d’étranges phénomènes troublent encore davantage la vie de cet îlot coupé du monde, il doit faire face à de multiples fronts. (Liana Levi)

 

LedunMarin Ledun, L’homme qui a vu l’homme

À travers ses nombreux polars, dont plusieurs ont été primés – Les Visages écrasés, La guerre des vanités, Modus operandi –, Marin Ledun, docteur en sciences de l’information et de la communication, gratte le verni de notre société pour ne laisser apparaître que ce qu’elle a de moins reluisant : mal de vivre, espionnage, corruption, collusions, etc. Solidement documenté, son nouvel opus est inspiré d’une affaire jamais élucidée: l’enlèvement en avril 2009 de Jon Anza dont le corps n’a été retrouvé qu’un an plus tard. Le héros est un journaliste espagnol qui enquête sur la disparition d’un important militant basque. L’enquête s’avère difficile et à haut risque parce qu’éminemment politique. Mais le jeune homme s’accroche, mettant les pieds sur un terrain particulièrement dangereux où les polices françaises et espagnoles marchent main dans la main, pas toujours en toute légalité ni transparence. Au menu de cette «guerre sale»: manipulations, désinformations, pressions, mensonges, ce qui donnent une image inquiétante des pratiques policières au nom d’une certaine raison d’État. (Ombres noires)

 

crouzetVincent Crouzet, Radioactif

Ce thriller est également inspiré d’une histoire vraie: le rachat en 2007 par Areva, alors dirigée par Anne Lauvergeon, de la société canadienne UraMin, soit trois mines d’uranium, pour un montant – 1,7 milliard d’euros, soit près de 75 fois le prix initial – qui a soulevé des interrogations. Sous la plume de Vincent Crouzet, spécialiste de l’Afrique et auteur de plusieurs romans d’espionnage, le géant du nucléaire français, Murana, achète un producteur d’uranium, Urafrik. En d’autres termes, il met la main sur des mines africaines d’uranium pour quelque 2,5 millions de dollars, un montant jugé faramineux – 5 fois le prix demandé. Le dossier tombe dans les mains du colonel Montserrat, agent de la DGSE en disgrâce rencontré dans le précédent livre de l’auteur, Le Seigneur d’Anvers, où il enquêtait sur le commerce de diamants. Machinations, manipulations, corruptions et autres joyeusetés, sans oublier les services secrets anglais et une rousse fatale, sont au menu de cette enquête particulièrement périlleuse – les intérêts de la France sont en jeu – menée en divers points du globe. (Belfond)

 

lecorreHervé Le Corre, Après la guerre

Venu de la Série Noire (De sable dans la bouche, Copyright), Hervé Le Corre arrime ses intrigues très noires à un terreau souvent nauséabond, tel la corruption ou le racisme. Dans son nouveau polar, l’auteur des Derniers retranchements mêle deux époques et deux guerres à travers un commissaire de police qui, dans les années 1950, voit resurgir son passé saumâtre de collaborateur du temps où il était inspecteur et un fils de déporté envoyé combattre en Algérie. Sur fond de rafles et de déportations, d’une part, d’opérations nocturnes où la mort guette derrière le moindre repli de terrain, d’autre part, l’écrivain bordelais dresse ainsi, désillusionné, un parallèle entre les Juifs et les Algériens transformés en objets de haine. Ce constat désenchanté mais non dépourvu d’humanité est portée par une langue sobre, sans effets, presque distanciée qui le rend d’autant plus impitoyable. (Rivages)

 

MathieuNicolas Mathieu, Aux animaux la guerre

C’est dans sa région des Vosges que Nicolas Mathieu, né en 1978 à Épinal, situe son premier roman dont, comme dans les romans de Gérard Mordillat (Les Vivants et les Morts, Rouge dans la brume), le cadre est la crise sociale et économique générée par la fermeture d’usines et son lot de misère sociale et de désespérance humaine. Martel, ouvrier syndicaliste, a piqué dans la caisse du CE de son usine, notamment pour pouvoir payer la résidence où est placée sa mère. Suite au déménagement d’une machine par le patron, il espère noyer le poisson. Avec son copain Bruce, dealer bodybuildé et videur comme lui lors de concerts locaux, il enlève une prostituée pour le compte de caïds. S’échappant de la masure d’un ancien de l’OAS où elle était enfermée, la jeune fille est recueillie par Rita, une inspectrice du travail. Multipliant les personnages, généralement paumés ou déclassés, tels ces jeunes dont l’horizon est bouché, même si l’amour peut venir s’insinuer dans les failles du quotidien, l’auteur construit son intrigue comme un puzzle aux allures de roman noir, très noir. (Actes Sud)

 

SylvainDominique Sylvain, Ombres et soleil

Auteure prolifique, Dominique Sylvain a, de livres en livres, imposé sa patte singulière dans le monde du polar français. Ombres et soleil, qui fête les vingt ans de la collection «Chemins nocturnes» chez Viviane Hamy, succède à Guerre sale, un roman sur fond de trafics d’armes avec l’Afrique dont il est d’une certaine manière le prolongement. Le corps du patron de la Criminelle a été retrouvé sur un chantier à Abidjan et il apparaît que la balle tirée à bout portant vient de l’arme de Sacha Dugain, qui avait conduit l’enquête précédente. Lola, commissaire à la retraite, et son amie Ingrid, strip-teaseuse américaine, vont tenter de prouver l’innocence de leur ami. De sa plume vive, sans gras inutile, tenant en haleine le lecteurs en multipliant les rebondissements, l’auteure de La Nuit de Geronimo et de Passage du désir (devenu un téléfilm) met en scène, comme nombre de ses confrères et consœurs en littérature noire, un monde politique et affairiste malade, miné par la soif de pouvoir et d’argent, où tout est bon, même le pire, pour obtenir un poste ou une gratification. C’est salutaire, sans doute, mais terriblement désespérant aussi. (Viviane Hamy)

 

KonateMoussa Konaté, Meurtre à Tombouctou

Ce quatrième roman policier de l’écrivain, dramaturge et éditeur malien mort en 2013 à Limoges, à 62 ans, cofondateur du festival Étonnants voyageurs à Bamako, prend une résonnance particulière suite à la tragédie vécue par Tombouctou lors de son occupation par les djihadistes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: le même jour où le cadavre d’un jeune Touareg est découvert aux abords de la ville, un cavalier enrubanné de noir vient professer des menaces de mort à l’égard des «sales mécréants de Français». Venu enquêter sur place, le commissaire Habib, héros récurrent de l’auteur, a fort à faire entre les batailles de clans et les pressions pour qu’il s’en retourne à Bamako. Pendant ce temps-là, son adjoint et un agent du Renseignement français découvrent la cité légendaire, et le lecteur à leur suite. L’intrigue policière offre en effet à Moussa Konaté l’opportunité de nous dévoiler avec intelligence et profondeur la richesse culturelle et humaine de son pays. Et plus spécifiquement ici de raconter le monde touareg qui nous est inconnu, notamment lors de la visite d’un campement. Et toujours plane sur la région une menace islamiste qui, dans la réalité, prendra effectivement corps. (Métailié)

 

MerleClaude Merle, L’ange sanglant

Qu’est-ce qui donne à un livre son caractère historique? Le fait qu’il se déroule en une époque plus ou moins lointaine est un argument nécessaire mais pas suffisant. Si par exemple, le personnage de Nicolas Le Floch évoluant dans Paris au18e siècle sous la conduite Jean-François Parot ou la série «Voltaire mène l’enquête» imaginée à la même époque par Frédéric Lenormand peuvent être qualifiées d’historiques, ce n’est pas le cas de tous les romans s’inscrivant dans le passé. C’est ainsi que, bien qu’ayant pour cadre la Hollande au 16e siècle, L’ange sanglant échappe à cette catégorisation. Son auteur, le Marseillais Claude Merle, a en effet légèrement désaxé sa focale: c’est moins la reconstitution scrupuleuse d’une époque qui l’intéresse, même s’il se veut fidèle à la vérité historique, que l’intrigue elle-même et son lien avec un célèbre peintre natif de la ville d’Hertogenbosch où une jeune fille a été retrouvée sauvagement assassinée: Jérôme Bosch. D’abord soupçonné, le médecin et alchimiste dont la victime était la servante est amené à coopérer avec le bailli charge de l’enquête, l’éclairant sur les mystères de la nature humaine et sur la complexité de sa pensée. Ils ont fort à faire car d’autres meurtres sont commis dans des mises en scène qui renvoient aux tableaux de l’auteur du Jardin des délices. (MA Éditions)

 

biefnotVéronique Biefnot, Là où la lumière se pose

Naëlle, jeune hermaphrodite rescapée d’un sordide fait divers; Simon, son riche amoureux romancier à succès; Lucas, le fils ado de celui-ci qui a du mal à accepter que son père, veuf, ait une copine; le couple ami, Céline et Grégoire; et même le chat Nicolas, un main coon à l’intelligence particulièrement développée: tous les personnages imaginés par Véronique Biefnot en 2011 dans Comme des larmes sous la pluie, retrouvés l’année suivante dans Les Murmures de la Terre, referment cette trilogie avec Là où la lumière porte. Pour savoir qui elle est vraiment, celle qui s’est appelée Nathanaël a besoin de percer «le voile d’ombre» qui enveloppe son enfance. Et ce chemin, elle en est convaincue, passe par des retrouvailles avec sa sœur qui était enfermée avec elle dans la cave mais dont elle a perdu la trace depuis leur libération. Sa quête la mène dans une sorte d’éco-village aménagé en pleine forêt près de Profondeville. Un monde peuplé de femmes et d’enfants, déserté de ses hommes le jour, sans le moindre vieillard, qui s’apprête à célébrer sa grande fête annuelle. D’abord intriguée et séduite, bientôt inquiète, la jeune femme veut en savoir plus. (Héloïse d’Ormesson)

 

LoevenbruckHenri Loevenbruck, Le Mystère Fulcanelli

Parus en 1926 et 1930, Le Mystère des Cathédrales et Les Demeures philosophales sont considérés dans le monde alchimiste comme deux livres majeurs. Mais la véritable identité de leur auteur, Fulcanelli, n’a jamais été divulguée. L’un des seuls à la connaître fut son préfacier et exécuteur testamentaire, Eugène Canseliet, mort en 1982 avec son secret. Henri Loevenbruck a mené, après bien d’autres, sa propre enquête. Et il est arrivé à une hypothèse qu’il expose dans son nouveau thriller dont le héros est Ari Mackenzie, présent dans deux de ses précédents romans, Le Rasoir d’Ockham et Les Cathédrales du vide. Engagé par la fille d’un bibliophile retrouvé mort et dont un carnet appartenant à Fulcanelli a été volé, l’ancien analyste aux Renseignements généraux voit son chemin parsemé de morts appartenant tous à une confrérie secrète, les Frères d’Héliopolis. Et c’est bientôt un nouveau mystère qui se présente à lui: la possible existence d’un troisième ouvrage de Fulcanelli dont le titre, Finis Gloriae Mundi, est celui d’un tableau de Juan de Valdés Leal exposé dans l’église de la Santa Caridad à Séville. (Flammarion)

 

minierBernard Minier, N’éteins pas la lumière

Le soir de Noël, une journaliste radio hantée par le suicide de sa sœur aînée à 16 ans reçoit la lettre anonyme d’une femme qui la culpabilise en affirmant vouloir se suicider. S’ensuivent des messages menaçants lors de son émission. Puis des accusations de harcèlement de la part d’un collègue. Une intrusion dans son appartement. Et la police qui la prend pour une dangereuse affabulatrice! L’une des «preuves» brandies contre la jeune femme pour ruiner sa défense sont des mails peu équivoques qu’elle aurait envoyés à une stagiaire depuis son ordinateur. Parallèlement, Martin Servaz, enquêteur à la criminelle en repos dans une institution pour policiers dépressifs, est incité par de mystérieux messages à rouvrir le dossier sur le suicide d’une peintre un an auparavant. Ses investigations l’amènent à plonger dans l’aventure aérospatiale via un journaliste qui a lui-même travaillé sur une autre histoire de harcèlement. Et à rencontrer une étrange spationaute. Inspiré par le travail de Marie-France Hirigoyen sur le harcèlement et les manipulations mentales, l’auteur de Glacé et du Cercle signe un puissant thriller qui met le lecteur dans d’un état de stress continu, rendant de plus en plus imprécise la frontière entre la vérité et l’affabulation. (XO Éditions)

 

bussiMichel Bussi, N’oublier jamais

Comment la jeune femme retrouvée morte sur une plage peut-elle avoir, nouée autour du cou, l’écharpe rouge que le joggeur lui a tendue quelques minutes plus tôt, juste avant qu’elle se jette de la falaise? Aidé par une jeune fille croisée par hasard, le jeune homme se met à la recherche des deux témoins du drame, une vieille dame et un homme au blouson fatigué. Tout en recevant des enveloppes contenant des extraits de presse relatifs à un fait divers similaire survenu dix ans auparavant. Des éléments déconcertants font vaciller ses repères: pourquoi le journal local ne parle-t-il pas de ce fait divers? Pourquoi y a-t-il tant de points communs entre les deux mortes? Pourquoi les témoins sont-ils introuvables, comme s’ils n’avaient jamais existé ? Qui tire les ficelles de tout cela? Et dans quel but? Cette intrigue est en outre jalonnée des lettres échangées par des gendarmes au sujet d’ossements humains retrouvés dans la même commune, quelques mois plus tard, suite à l’effondrement d’une falaise. Le lien entre ces deux histoires est totalement inattendu et particulièrement imaginatif. (Presses de la Cité)

 

 

AbelBarbara Abel, Après la fin

Il y a deux ans, dans Derrière la haine, l’auteure belge racontait dans quelles circonstances Tiphaine et Sylvain Géniot avaient adopté le fils de leurs voisins. Huit ans ont passé, le garçon a quinze ans, et, au début d’Après la fin, une nouvelle famille vient s’installer dans la maison mitoyenne de la leur. Il s'agit d’une femme séparée et de ses deux enfants de 13 et 8 ans. Le couple est plutôt rassuré, il ne devrait pas être embêté, même si cette arrivée fait rejaillir chez Tiphaine de douloureux souvenirs mal enfouis liés à la perte de leur fils treize ans plus tôt. Au début, tout se passe bien, les deux femmes s’apprécient, les familles s’invitent. Jusqu’à l’entrée en scène du mari de la nouvelle voisine, un avocat, qui lui révèle le drame qui s’est déroulé jadis dans sa maison. Tout commence alors à déraper. Les thrillers de Barbara Abel tirent leur principale force de la manière dont elle parvient à distordre une situation a priori tout à fait normale par le simple dérèglement psychologique de personnages perdus entre réalités, peurs et fantasmes. Individus dont Tiphaine est un magnifique exemple. (Fleuve noir)

 

bardeOlivier Barde-Cabuçon, Tuez qui vous voulez

En 2012, dans Casanova et la femme sans visage, Olivier Barde-Cabuçon a créé un commissaire dont le terrain d’action sont les «morts étranges» - mais les morts criminelles ne le sont-elles pas toutes? Avec cette troisième enquête, après Messe noir, il confirme que la reconstitution du Paris du milieu du 18e siècle, avec ses artisans et ouvriers et ses rues boueuses et malodorantes, l’intéresse autant que l’intrigue elle-même. Lors d’une nuit festive organisée par Louis XV à la Noël 1759, un étudiant en médecine d’origine russe est retrouvé assassiné. Il a langue coupée, comme deux morts découverts peu avant. Et voici Volnay, toujours accompagné de son père vêtu comme un moine, parti sur la piste du tueur, main dans la main avec Sartine, le lieutenant de police. Trio qui panique lorsqu’ils s’aperçoivent que quelqu’un veut ressusciter la très transgressive Fête de fou propice à tous les débordements. Au cours de cette enquête menée avec vélocité, et contée avec un humour qui en allège la dimension tragique, on croise aussi le chevalier d’Éon et les jansénistes liés à des guérisons miraculeuses. (Actes Sud)

 

 

 

Michel Paquot
Juin 2014


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