Lectures 2014 - Poches - Romans étrangers

 

RugeEugen Ruge, Quand la lumière décline

Eugen Ruge, mathématicien d’origine est-allemande, dépeint avec brio la vie d’une famille vivant en RDA durant la seconde moitié du XXe siècle, de la fondation de l’Etat après-guerre à l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev et à la chute du Mur de Berlin. Au terme de leur exil mexicain pendant la Deuxième Guerre mondiale, Wilhelm et Charlotte regagnent la «nouvelle Allemagne» afin d’y bâtir un communisme radieux. Pour avoir critiqué le pacte germano-soviétique, leurs deux fils, Werner et Kurt, sont envoyés au goulag. Le premier y meurt, le second revient en 1956 avec une épouse russe, Irina. Devenu un historien officiel et auteur prolifique, couvert de médailles et de décorations, il finit par espérer l’avènement d’un communisme «à visage humain». Son fils, Alexander, dit Sacha, conçu à l’annonce de la mort de Staline, est complètement lucide quant à l’incapacité de ce régime à rendre l’homme heureux. Il finira d’ailleurs par fuir le pays en octobre 1989, quelques jours avant la chute du Mur de Berlin. Quant à Markus, son fils né au milieu des années 1970, il est déjà dans l’après. Alternant les points de vue, le roman est construit en vingt chapitres mélangeant les dates, de 1952, l’année du retour de Wilhelm et Charlotte en RDA, à 2001 et le voyage d’Alexander au Mexique sur la trace de ses grands-parents. (10/18)

 

MullerHerta Müller, Animal du cœur

La narratrice, qui a quitté son village pour un lycée en ville, partage une chambre avec cinq autres filles. Chacune regroupe ses maigres affaires, principalement une boule de collants en coton, dans une valise glissée sous le lit – et continuellement fouillée par d’autres, à l’instar du placard où elles accrochent leurs vêtements. Et où l’une d’elles, Lola, la plus pauvre, est retrouvée pendue avec la ceinture de la narratrice. Celle-ci retrouve dans ses affaires le journal secret de la morte, qui disparait. Elle se lie alors avec trois garçons, Kurt, Edgar et Goerg, qui remettent en cause la version officielle du suicide. Ce sont eux que nous suivons tout au long du roman, lorsque, rentrés chez eux après leurs études, ils tentent de mener une vie normale. Mais ils sont persécutés par un certain capitaine Piele qui, «secondé» par un chien particulièrement agressif, ne cesse de les convoquer. La peur, la méfiance les habite continuellement. Le roman fourmille de petites choses puisées dans le quotidien des individus ou dans leur pensée, donnant ainsi corps à l’enfermement et la désespérance qui sont leur lot commun. L’écriture d’Herta Müller, Nobel de Littérature en 2009, est très singulière, heurtée parfois, elliptique souvent, traduisant avec une justesse émotionnelle et quasiment physique l’intranquillité qui habite en permanence ses personnages. (Folio)

 

OlafsdottirOlafsdottir-RosaCandidaAudur Ava Olafsdottir, Rosa candida et L’Embellie

Le narrateur de Rosa candida quitte son pays, son père et son frère jumeau autiste pour se rendre dans «la plus belle roseraie du monde» afin d’y planter une rose à huit pétales, la rosa candida du titre, si chère à sa mère morte quelques tempes auparavant. Son voyage est long et chaotique. Arrivé à destination, il est logé dans la dépendance d’un monastère dont il remet en état le jardin – la roseraie. Il se lie avec un «frère» qui passe ses soirées à regarder des DVD de films d’auteurs et commence à trouver sa place dans cette nouvelle existence, que seules les régulières conversations téléphoniques avec son père rattachent à son passé. Mais survient une jeune fille mère d’une fillette dont il est le père et qu’elle lui demande de garder pendant qu’elle travaille sur son mémoire. La magie de ce roman réside dans la façon dont le narrateur s’efforce de sans cesse positiver ce qui lui arrive même si, dans un premier temps, il se montre contrarié. Il se dégage ainsi de cette lecture une forme de bien-être née de la beauté et de l’intelligence du regard que l’auteure islandaise porte sur ses personnages.

Le sentiment est le même à la lecture de L’Embellie, écrit avant Rosa candida mais publié en français après. Son héroïne, abandonnée le même jour par son mari et son amant, prend, sous la pluie, la route qui fait le tour de l’île avec l’enfant de son amie célibataire. C’est sur la relation entre ce garçon de quatre ans, sourd, très maigre, myope, aux comportements déroutants, et la narratrice qui, n’ayant pas l’expérience de telles situations, ne cesse d’improviser, de suivre son instinct, qu’est construite cette belle et touchante histoire peuplés de personnages hors du commun. (Points)

 

KohlerSheila Kohler, Quand j’étais Jane Eyre

Dans ce livre, l’écrivaine sud-africaine a su trouver le point médian exact entre le roman et la biographie. Elle observe une époque charnière dans la vie de la famille Brontë, de 1846 à 1848. Orphelines de mère, Charlotte, Emily et Anne vivent dans un coin reculé du Yorkshire avec un père pasteur rigide et un frère poète qui, prisonnier de la drogue et de l’alcool, sombre peu à peu dans la démence. Chacune écrit, et chacune publie, mais seule Charlotte connaît, sous un pseudonyme, le succès – énorme – avec Jane Eyre alors que les tirages des Hauts de Hurlevent et d’Agnès Grey, respectivement écrits par Emily et Anne, sont confidentiels. Si l’auteure s’intéresse tour à tour à chaque personnage, c’est Charlotte, l’ultime survivante de la fratrie, qui sert de fil conducteur. Se souvenant notamment de son séjour dans une pension bruxelloise où l’amour – sans retour- qu’elle a voué à son maître lui a inspiré son premier roman, Le Professeur, refusé par tous les éditeurs. (10/18)

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