Le polar nordique : révélateur d'un malaise

Depuis plusieurs années, le polar venu du nord de l'Europe connaît un succès réel un peu partout dans le monde. Davantage roman noir qu'à énigme, il remet en cause le «modèle social» scandinave.

Les romans d'Henning Mankell sont des best-sellers internationaux. Millenium triomphe sur la planète à l'instar du Da Vinci Code ou de Harry Potter. Plus de cinquante auteurs nordiques sont traduits en français, et régulièrement de nouveaux noms apparaissent. Pourquoi un tel engouement ? Patrick Raynal, éditeur passé de la Série Noire (Gallimard) à Fayard Noir, lui-même auteur de polars, s'est posé la question dans un récent numéro de la revue française « XXI » sans parvenir à apporter de réponses.On peut néanmoins proposer trois explications.

La première, la plus évidente, tient à la qualité des livres. Ils sont en majorité construits sur de bons suspenses et de solides ambiances et captivent le lecteur, condition sine qua non pour provoquer son adhésion.

Ils apportent, ensuite, une touche d'exotisme dans un genre dominé chez nous par les Français et les Anglo-saxons.

polar

Enfin, et c'est peut-être, fondamentalement, le plus important, ils révèlent la face cachée d'un modèle social régulièrement cité en exemple dans nos démocraties. Car, tant sous les plumes du Suédois Henning Mankell avec son inspecteur obèse Kurt Wallander (et aujourd'hui sa fille Linda) et du Norvégien Jo Nesbo dont le héros, Harry Hole, est un flic alcoolique et dépressif, que sous les auspices de l'Islandais Arnaldur Indridason, père d'un commissaire Erlendur neurasthénique, ou du Finlandais Matti Yrjänä Joensuu, créateur de l'inspecteur Timo Harjunpää, c'est de délinquance, de corruption, de misère sociale, de solitude, de racisme, de dysfonctionnements en tous genres qu'il s'agit le plus souvent. Avec de fréquentes plongées dans une histoire récente bien peu glorieuse, où se voient réveillés de sinistres fantômes.

 

La violence de ces livres se niche principalement sous des couvercles trop bien scellés qu'il convient de soulever pour voir ce qu'ils dissimulent, plutôt que dans l'exposition brutale de corps martyrisés ou dépecés. Si certains cadavres, chez les auteurs du Nord, sont bien réels, fruits de meurtres aussi sordides que partout ailleurs, les plus nombreux sont immatériels et pas visibles d'emblée, car enfermés depuis des années dans les placards des maisons de famille, ou enfouis dans quelques recoins de la nation.

sjowall et walhoo

Le polar nordique est en fait un genre récent — même si le roman à énigme type Agatha Christie existe depuis longtemps. C'est un couple de journalistes marxistes, Per Walhöö et Maj Sjöwall, qui l'a réinventé au milieu des années 1960 en créant le commissaire Martin Beck, dont les enquêtes (publiées en 10/18, en cours de réédition chez Rivages/noir) viennent dénoncer cette forme d'imposture que constitue, selon eux, le modèle-social démocrate suédois. Quasiment tous les auteurs suédois, et plus globalement scandinaves, leur sont d'une façon ou d'une autre redevables.

Les premiers, dans les années 1970, sont Norvégiens et se nomment Jon Michelet (non traduit en français) et Gunnar Staalesen, avec des intrigues situées à Bergen et résolues par le détective privé Varg Veum. Au cours de la décennie suivante, un autre Norvégien, Frode Grytten, un Finlandais, Matti Yrjänä Joensuu, un Suédois, Hakan Nesser et un Islandais, Olafur Haukur Simonarson, vont leur emboîter le pas.

Mais il faut attendre la dernière décennie du XXe siècle et le début du XXIe pour qu'émerge véritablement une nouvelle génération d'auteurs dans ces cinq pays scandinaves. Nombre d'entre eux sont aujourd'hui traduits en français, principalement chez Gaïa, à la Série Noire, au Seuil, en 10/18, chez Actes Sud ou Métailié.

Les Suédois (de loin les plus nombreux) Henning Mankell, Stieg Larsson, Karin Alvtegen, Ake Edwardson, Asa Larson, Hakan Nesser, Lisa Marklund ou, tout récemment, Camilla Läckberg.

Les Norvégiens (les deuxièmes par ordre d'importance) Kjell Ola Dahl, Stig Holmas, Anne Holt, Joe Nesbo ou Pernille Rygg.

Et quelques Finlandais (Leena Lehtolainen, Jari Tervo), Islandais (Arnaldur Indridason, Arni Thorarinsson, Jon Hallur Stefansson) et Danois (Leif Davidsen, Michael Larsen).

C'est chez eux que nous pouvons trouver le portrait le plus ressemblant de cette région d'Europe largement méconnue, sinon grâce aux films de Bergman ou de Kaurismäki, et génératrice de fantasmes multiples : températures sibériennes, soleil de minuit, et hivers sans fin. Tout un programme...

 

Michel Paquot
Mars 2009

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 

 

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