Elmore D, de la dialectologie au blues d’aujourd’hui

Côté pile, il y a le professeur d'université, membre éminent de l'Académie royale de langues et littérature françaises de Belgique. Côté face, un passionné de rock et de blues, chanteur et guitariste dont le 5e opus, Grandiveûs, vient de sortir. Bienvenue dans le monde de Daniel Droixhe.

DDroixhe

L'exercice est difficile, ingrat presque : réduire à quelques dizaines de lignes trois heures d'un entretien passionnant avec un homme d'une gentillesse et d'une intelligence rares, éminent linguiste et bluesman talentueux. Il faut pourtant s'y atteler.

Côté pile

Commençons d'abord par Monsieur Droixhe, le professeur. Il naît en 1946 à Herstal. Adolescent, il fait montre d'un premier talent : le dessin - il sera même publié dans le mythique journal Hara-Kiri. Il se dirigera cependant plutôt vers les Lettres.  Romaniste accompli de l'Université de Liège, il soutient en 1974 une thèse intitulée La linguistique et l'appel de l'histoire (1600-1800), qui sera publiée chez Droz quelques années plus tard et donnera naissance à une Société d'histoire et d'épistémologie des sciences du langage. Linguiste et dialectologue, il reçoit de l'Université de Liège sa première charge d'enseignement : la littérature wallonne. L'Université de Bruxelles l'accueillera ensuite. Parallèlement, il collabore à de nombreuses publications et revues, de dialectologie wallonne et d'histoire liégeoise notamment. Ses travaux d'histoire du livre le font inviter à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales et à l'École Normale Supérieure, à Paris. En 1998, l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique récompense sa fructueuse carrière et lui offre un de ses sièges.

Photo © ULg - Bénédicte Tondeur 

Côté face

Mais en marge de son parcours académique, le linguiste féru du XVIIIe siècle cache depuis des années l'existence d'une toute autre personne : Elmore D.

Tout commence en 1966. Jeune étudiant fan d'Eddie Cochran et de Chuck Berry, Daniel Droixhe voit les Kinks à Liège. C'est la claque. Il achète sa première guitare. Son premier groupe s'appellera Ox. Ses deux beaux-frères l'accompagnent. Le sourire aux lèvres, Daniel Droixhe se souvient des répétitions dominicales survoltées : Nous jouions des heures d'affilée, du matin au soir. Nous avions peu de matériel à l'époque : je n'avais pour chanter qu'un petit poste de radio à lampes et devais donc hurler pour me faire entendre. C'est sans doute à l'époque qu'il développe sa voix, puissante et rugueuse. En 1969, pendant l'occupation de l'Université de Liège par les étudiants, il se produit dans la salle académique. C'est le premier concert d'une longue série. L'aventure familiale prend cependant fin une quinzaine d'années plus tard. Mais c'est alors que les choses sérieuses commencent pour celui qui se fera appeler Elmore D en référence au chanteur guitariste américain Elmore James.

Le choix d'un pseudonyme est cependant surtout un moyen de garder discrètes ses activités musicales de l'époque. Il craint en effet que professeur et chanteur guitariste de blues ne fassent pas bon ménage aux yeux d'un monde académique bienveillant. J'ai gardé mes activités musicales secrètes pendant longtemps. Je jouais à Liège, mais pendant trente ans je n'ai pas joué à Bruxelles où j'étais professeur. Je n'aimais pas trop l'idée de voir mes étudiants à mes concerts. Peut-être était-ce une erreur ? Au pire, certains pensent alors qu'il est saxophoniste de jazz, ce qui est manifestement plus convenable.

Basse Mouse blues

Cela n'empêche en tous cas pas Daniel Droixhe de jouer le blues. Au milieu des années quatre-vingt, il fréquente la riche scène blues anversoise. C'est là qu'il rencontre les membres des renommés Electric Kings qui deviendront alors ses musiciens. Concerts, récompenses, et un croustillant voyage dans le Mississippi − relaté sur son site internet − s'enchaînent jusqu'à l'enregistrement d'un premier album, Basse-Moûse Blues, titre du premier morceau en wallon qu'il composa quelques années plus tôt au départ d'une plaisanterie. Les premiers albums d'Elmore D sont cependant plutôt anglophones.

C'est progressivement que le wallon se fera une place dans la discographie d'Elmore D. En témoigne Grandiveûs, cinquième et dernier opus en date où tous les textes sont écrits dans le dialecte qui lui est cher.

 

 


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