La véritable histoire de la pomme de terre frite (1re partie)

La pomme de terre 

Pour fabriquer des pommes de terre frites, nous en conviendrons, il nous faut des pommes de terre. Or, l'excellent travail de Fernand Pirotte nous apprend que la pomme de terre ne fut introduite dans le Namurois qu'aux alentours de 1735.14 En outre, les chroniqueurs ont fait état d'un hiver particulièrement rigoureux entre 1739 et 1740. Surnommé le long hiver, ce dernier a figé la Meuse pendant plusieurs mois.15 Peut-être était-ce à cette occasion que les paysans démunis ont découpés les pommes de terre sous forme de menu fretin en souvenir de leurs fritures de poisson ? Pure hypothèse, bien sûr, mais qui a le mérite de s'appuyer sur des faits.

Bref, nous disposons d'une date plausible. Les paysans namurois ont probablement taillé leurs pommes de terre en forme de bâtonnets à partir de 1739, et non de 1680. Reste à déterminer si ces bâtonnets sont bien des pommes de terre frites.

frite
Photo © José Coulée

La graisse 

La pomme de terre frite, nous en conviendrons encore, se prépare dans un bain de graisse bouillante. Sur ce dernier point, la prudence est encore de mise. Les éléments contenus dans le texte de Joseph Gérard ne laissent planer aucun doute. Les personnages qu'il décrit proviennent d'un milieu modeste, d'un milieu de paysans. Or, au XVIIIe siècle, la graisse était un luxe pour les petites gens. Le beurre coûtait cher, la graisse animale était rare et les graisses végétales meilleures marché se consommaient avec parcimonie.16 C'est pourquoi les paysans mangeaient la graisse directement, sans la gaspiller, sur du pain ou dans un potage. Et c'est pourquoi la cuisson en friture était rarissime dans la paysannerie. Il était donc exceptionnel de trouver une poêle dans le matériel de cuisine d'un humble du XVIIIe siècle. Dans de telles conditions, il est absolument impensable qu'un paysan ait consacré de grandes quantités de graisse pour cuire des pommes de terre. Tout au plus les a-t-il rissolées à la poêle, comme le texte de Joseph Gérard nous le laisse supposer. Ce dernier n'évoque donc pas la pomme de terre frite, mais bien de simples pommes de terre rissolées. Ainsi, la troisième piste tombe également à l'eau.

Alors ? 

Mais alors, où le mariage entre la pomme de terre et la friture s'est-il déroulé ? La pomme de terre, au XVIIIe siècle, était méprisée et demeurait totalement absente du menu quotidien des classes plus aisées. La frite fut-elle l'œuvre d'un humble ? Nous venons de voir que c'est impossible, il ne disposait pas de suffisamment de graisse. Le bain d'huile, cuisson extrêmement chère, était l'apanage des classes supérieures. Alors, la frite fut créée dans la cuisine cossue d'un aristocrate ou d'un bourgeois ? Impossible encore. Aucune pomme de terre n'y a jamais posé sa robe. Ce mariage paraît donc impossible. Et pourtant, la frite est bien née quelque part...

À suivre..

frite
Photo © Jim Sumkay, No Comment (Musée en plein air ULg)
 
 
 

 

Pierre Leclercq
Mars 2009

 

 

 

 

 
 
icone crayon
Pierre Leclercq est historien , diplômé de l'ULg. Ses recherches concernent toute l'histoire de la gastronomie.
 

Michel Antaki, de l'asbl D'une Certaine Gaieté, explique pourquoi il a lancé une pétition afin d'inscrire le boulet-frites à la Liégeoise au Patrimoine immatériel de l'humanité :

 




14 Fernand Pirotte, La pomme de terre en Wallonie au XVIIIe siècle, Collection d'études publiée par le Musée de la Vie Wallonne, Liège, Editions du Musée wallon, Cour des Mineurs, 1976, p. 39, 40
15 E. Vanderlinden, Chroniques des événements météorologiques en Belgique jusqu'en 1834, Académie Royale de Belgique, Classe sciences, Mémoires, deuxième série, t. VI, Bruxelles, Maurice Lamertin, 1924, p. 187, 188
16 Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, Histoire de l'alimentation, Paris, Fayard, 1996, p. 588, 739

Page : précédente 1 2 3