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« Millenium », les raisons d'un succès

13 February 2009
« Millenium », les raisons d'un succès

Stieg Larsson

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette et La reine dans le palais des courants d'air : des titres inhabituels, intrigants, qui ont contribué au succès de la trilogie Millenium écrite par Stieg Larsson. Son traducteur français, Marc de Gouvenain, commente le succès de cette étonnante aventure éditoriale et littéraire, publiée pour le plus grand bonheur d'Actes Sud. Une adaptation au cinéma sort sur nos écrans au printemps.

 

 

 
Stieg Larsson photo © Éditions Acte Sud

Pour qui ne le saurait déjà, les héros de Millenium sont Mikael Blomkvist - surnommé « Super Blomkvist », en référence à un détective-enfant créé par la romancière Ingrid Lindgren -, rédacteur en chef et copropriétaire d'une petite revue d'investigation suédoise, « Millenium », et Lisbeth Salander. Asociale et rebelle, sorte de punkette d'1 mètre 50 qui a passé son adolescence dans un hôpital psychiatrique, cette « hacker » géniale évoque un autre personnage ancré dans l'imaginaire suédois, également imaginé par Ingrid Lindgren, Fifi Brindacier. Traduite en quinze langues, la trilogie a été vendue à plus de 9 millions d'exemplaires dans le monde. Dont près de 2,5 millions rien qu'en France où elle est éditée par Actes Sud entre juin 2006 et septembre 2007, dans une traduction de Marc de Gouvenain et Lena Grumbach. 

Son auteur, qui l'avait écrite «pour assurer ses vieux jours», n'en aura pourtant pas vu le succès. Né en 1954, journaliste et écrivain passionné de science-fiction, un temps reporter de guerre, Stieg Larsson a été membre du parti socialiste suédois jusqu'en 1987 et l'un des initiateurs de la Fondation Expo, observatoire des manifestations ordinaires du fascisme et éditrice d'une revue, « Expo », dont il fut le rédacteur en chef. Menacé de mort à plusieurs reprises, il succomba à une crise cardiaque en 2004, le manuscrit de son troisième tome tout juste remis à son éditeur. Sur fond de querelle d'héritage et de droits littéraires, la rumeur court que Larsson aurait eu le temps d'en écrire un quatrième... Le cinéma ne pouvait que s'intéresser à ce phénomène éditorial. C'est le réalisateur danois Niels Ardan Oplev qui a réalisé l'adaptation du premier tome, dont la sortie en salle est prévue chez nous au printemps.

En avril 2008, Jacques Drillon a violemment critiqué la traduction française de Millenium sur le site du « Nouvel Observateur », enflammant le web. Nous avons rencontré l'un de deux traducteurs, Marc de Gouvenain, qui est également responsable du domaine scandinave chez Actes Sud.

Millenium

Comment êtes-vous devenu traducteur du suédois ?

Marc de Gouvenain : En 1968, à la suite de plusieurs voyages en Suède, où je montais en stop et allais travailler (balayeur, ouvrier en usine etc..), j'ai commencé à traduire des poèmes avec l'aide d'un traducteur renommé, Carl Gustav Bjurström. La machine était lancée: la traduction d'un roman, de deux, de trois, un rôle de lecteur/conseiller pour diverses maisons d'édition, puis la rencontre en 1984 avec Actes Sud et la responsabilité d'un domaine scandinave.

Comment avec-vous découvert Millenium ?

Quarante ans d'intérêt pour les littératures scandinaves, de contacts, d'amitiés, de relations professionnelles... cela signifie que, au fil des ans, des auteurs, des responsables des droits étrangers, des éditeurs scandinaves m'ont tenu au courant, conseillé, informé, souvent avant même que l'écriture d'un livre soit terminée. J'ai lu Millenium un mois après le décès de Stieg Larsson Et j'ai été captivé.

Pourquoi avoir créé la collection Actes Noirs pour l'accueillir ?

La volonté de démarrer chez Actes Sud une collection polar/thriller/noir existait depuis longtemps. La collection « Babel Noir » avait été relancée deux ans plus tôt mais ne publiait que des auteurs français. Millenium a été l'occasion de se décider, mais d'autres titres excellents étaient déjà prêts (Derniers verres de Andrew McGahan, Les cris de l'innocente de Unity Dow, etc.)

 

Imaginiez-vous un tel emballement ?

Bien sûr que non, jamais je n'aurais pu savoir. Pour preuve : aucune presse ou quasiment et de très faibles ventes pendant un an. Certains m'ont même dit que je prenais un risque énorme en publiant de si gros livres - donc très coûteux. Puis ça accroche, la machine s'emballe, et brusquement tout le monde me demande comment je fais un best-seller ! Pourquoi un tel démarrage, alors ? Une bonne relance des journalistes, un changement à la direction commerciale, le choix de m'investir énormément dans la promotion. Et avant tout, la qualité du livre.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour sa traduction ?

A elle seule, cette question réclame des pages et des pages de réponses, de commentaires, d'exemples tirés de l'expérience de quarante ans de boulot. Quelle est la plus grande difficulté d'une traduction ? La lassitude, la fatigue qui s'abat par moments et relâche l'attention, le pessimisme quand on se dit qu'une fois encore on bosse pour peu de lecteurs. Lena Grumbach et moi traduisons ensemble depuis trente-cinq ans, nous avons nos fonctionnements, acquis au fil de dizaines de romans traduits.

Que pensez-vous de la polémique autour de votre traduction, et sur le tutoiement notamment ?

« Polémique » !!! autour de la traduction. Le grand mot à la mode ! Pourquoi quand les livres, les films, les personnalités... n'ont pas de succès, sont ignorés, n'ont-ils pas droit à une polémique ? Pourquoi ne se pose-t-on pas la question du vous/tu dans les centaines de traductions de l'anglais, de l'américain ? Pourquoi, quand on en parle pour Millenium, n'en parle-t-on pas pour les traductions des dizaines d'auteurs scandinaves parus en traduction française depuis des années, chez différents éditeurs, réalisées par différents traducteurs ? Réponse : parce que ce serait trop de travail, et que c'est si facile de critiquer. Qui s'est posé la question de savoir si ce qui est écrit « contre » est justifié ? Des aberrations ont été écrites ici ou là. Le Net est remarquable pour cela : on balance une demi-fausse info, les  blogs embrayent, personne ne polémique contre le média qui a livré de la fausse info.

Pensez-vous que ce livre est "bien" écrit, et le traducteur doit-il "rectifier" les éventuelles lourdeurs ?

La question de la « rectification » et des qualités comparées de l'original et de la traduction mériteraient là encore des pages d'exemples, de pratique, de cas concrets, de rencontres avec différents éditeurs/traducteurs. Qui va juger ? Une commission culturelle ? des critiques littéraires qui n'ont jamais traduit/écrit eux-mêmes? des universitaires ? des comités d'éditeurs ? des lecteurs qui relèvent des fautes là où il n'y en a pas, vous insultent mais une fois informés ne s'excusent pas ? Qui s'est attaqué à l'étude comparative des différentes traductions d'une même œuvre ? Des traductions en différentes langues d'une même œuvre ? Bien peu de gens ont ce courage, cette envie de travailler dur. Un exemple simple autour des titres de Millenium : des dizaines et des dizaines d'articles, mais qui les a comparés dans les différents pays où le livre est paru ? Qui s'est posé la question du pourquoi et l'a posée aux éditeurs ? Et pourtant, ce serait si intéressant, par exemple, d'apprendre que les titres français, décriés comme n'étant « pas les titres en Suède » sont les plus proches de ce que voulait Larsson... Tout cela dit, il peut arriver aussi au(x) traducteur(s) de commettre une erreur, de se planter, d'avoir des défauts...

Est-il fréquent, dans la littérature suédoise, de mettre en cause le système ?

Ce qui est sidérant, avec le succès de Millenium, c'est que tout le monde veut en faire le départ d'interrogations sur la Suède, la Scandinavie, la politique, la société, etc. Mais les gens qui s'interrogent maintenant ont-ils lu, ces dernières décennies, d'autres livres scandinaves, romans noirs ou pas ? Ont-ils lu les pages du « Monde diplomatique » sur la Scandinavie ? Prenons la situation de pays où personne (ou très peu) ne connaît rien de la France, et en tout cas ne s'y intéresse pas depuis des lustres. Et puis voilà un livre - par exemple Notre-Dame de Paris - qui fait un tabac, devient un best-seller... -  et tout le monde va discuter de la France à partir de ce seul et unique livre, tirer des conclusions, polémiquer, lancer des interprétations sur la société, etc. Je remarque en tout cas constamment le même phénomène : quasiment aucun journaliste critique n'a encore réalisé une vraie analyse littéraire de Millenium, ne s'est penché sur la technique d'écriture, sur le fond, sur les similitudes, ou pas, avec d'autres polars américains ou autres.

 

Entretien : Michel Paquot
Mars 2009

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 

 

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