La traduction dans l'Antiquité

Si les Grecs n'ont jamais jugé utile d'importer des œuvres littéraires étrangères, les Romains, au contraire, ont eu fréquemment recours à la traduction. A Rome, certains auteurs traducteurs, comme Catulle, se sont montrés de fervents défenseurs de la fidélité à l'original. Mais la plupart des Latins ont préféré une certaine liberté dans leur travail, réalisant ainsi des œuvres artistiques adaptées à leur culture.

Narcissisme grec

À la fin du Ve s., lorsque les textes littéraires passent du domaine oral à la forme écrite, les Grecs disposent d'un patrimoine littéraire d’une richesse considérable qui ne demande pas à être enrichi par des œuvres étrangères traduites. Les cultures étrangères ne les intéressent généralement pas : « Ils n’admirent que leurs propres réalisations », dit Tacite (Ann., II, 88). Les Grecs restent donc monoglottes pendant toute leur histoire.

Les Romains, inventeurs de la traduction littéraire

Il en va bien autrement du côté de Rome. À l’époque des guerres puniques, les Romains s’ouvrent à la culture grecque. La traduction représente le versant littéraire de leur étonnante capacité d’assimilation, bien observée par l’historien Polybe (VI, 25, 11).

En raison de leurs contacts avec de nombreuses autres cultures, les Romains ont pratiqué la traduction orale (interpretari). Les interprètes étaient nombreux à Rome et dans les provinces. Cicéron dit qu’il y a toujours quelqu’un qui demande un interprète au Sénat. Les Romains ont aussi connu la traduction de textes techniques, représentée par le traité d’agriculture du carthaginois Magon, traduit du punique durant la seconde moitié du IIe s. sur l’ordre du Sénat. Mais leur spécificité est d’avoir été les «inventeurs» de la traduction littéraire ou artistique (uertere), inconnue des Grecs.

En effet, lorsqu’ils traduisent une œuvre littéraire, les Latins ne se l’approprient pas telle quelle, mais s’efforcent de l’adapter à leur mentalité. Telle est l’attitude des premiers poètes de Rome originaires d’un milieu grec ou de culture grecque.

Il ne faut pas se méprendre sur le sens du mot «traduire» chez les Romains. Les latins pratiquent la traduction littéraire, qui a pour but non seulement de rendre l’équivalence sémantique (comme la traduction de textes techniques), mais aussi d’être attentif aux aspects stylistiques du message.

Entre traduction et adaptation

Pour les Latins, la traduction, le uertere, est moins un acte de médiation entre un émetteur et un destinataire parlant une autre langue qu’une œuvre de création, dans un contexte bilingue, qui peut revendiquer une autonomie par rapport à l’original. Le début de l’Odissea de Livius Andronicus, qui inaugure la littérature latine comme poète-traducteur, donne une belle illustration de cette façon d’envisager la traduction :

Od. 1 :
texte Homère
« c’est l’homme aux mille tours, Muse, qu’il me faut dire, celui qui tant… » (trad. V. Bérard).

Livius Andronicus, Od. Fr. 1 Morel :
Virum mihi, Camena, insece uorsutum 
«raconte-moi, Camène, l’homme aux mille tours ».

On peut comparer cette traduction avec celle d’Horace, Art poétique, 141-142 :
Dic, mihi, Musa, uirum, capta post tempora Troiae/qui […]
«dis-moi, Muse, l’homme qui, après la prise de Troie…» (trad. F. Villeneuve).

Nous voyons que Livius Andronicus et Horace jouent sur les sons, un aspect qui est absent dans le vers original : uirum… uorutum, Musa… capta … tempora. Le premier respecte bien l’ordre des mots, mais ne rend pas littéralement le verbe. Il utilise la forme archaïque inseco (insequo) «dire, raconter». Mais l’écart le plus clair par rapport à l’original est certainement le mot Camena plutôt que Musa. Camena (surtout au pluriel) est un mot spécifiquement latin pour désigner les nymphes aux chants prophétiques, plus tard identifiées avec les Muses. Livius Andronicus a donc préféré un mot spécifiquement latin, tandis qu’Horace, plus fidèle à l’original, translittère simplement.

 

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