La traduction dans l'Antiquité

Cette façon très libre de traduire suscita une réaction au nom d’une nouvelle poétique. Elle vint de Catulle. Le poète de Vérone se montre plus fidèle au modèle, comme le prouve le poème 66, traduit de la Chevelure de Bérénice de Callimaque (vers 300-240), que nous connaissons grâce à des fragments papyrologiques.

Papyrus Callimaque 

manuscrit catulle

 

 

 

 

L’illustration de gauche représente un papyrus de Callimaque (PSI IX 1092) datant du Ier s. av. J.-C. Il provient d’Oxyrhynchus en Égypte et contient les vers 44-64 de la Chevelure de Bérénice de Callimaque. Il est conservé aujourd’hui à la Biblioteca Medicea Laurenziana de Florence. Photo du Centre de Documentation de Papyrologie Littéraire de l'ULg.

 

L’illustration ci-dessus montre une page d’un manuscrit de Catulle, le Codex Parisinus lat. 14137 écrit à Vérone ou près de Vérone en 1375. Il a appartenu à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de Paris. Il s’agit du poème 66 de Catulle, qui est une traduction très fidèle de Callimaque. N. Marinone a publié une édition où il a juxtaposé, quand c’est possible, le texte de Callimaque et la traduction de Catulle (voir ci-dessous).

La traduction suit scrupuleusement les vers originaux, sans omissions ou ajouts, à tel point que l’on a pu publier une édition où les vers de Catulle sont suivis du vers orignal, là où le rapprochement est possible.

bilingue grec-latin

 

Voici une traduction de ces vers selon la version de Catulle (v. 45-50) :

« Elle a été abattue aussi, cette montagne, la plus haute que franchisse sur terre le fils resplendissant de Thia, lorsque les Mèdes créèrent une mer nouvelle et qu’une jeunesse barbare navigua au travers de l’Athos. Que feront des cheveux, quand le fer a raison de tels obstacles ? O Jupiter, maudits soient toute la race des Chalybes et celui qui le premier s’obstina à chercher les filons cachés sous le sol, et à forger le fer résistant ! » (trad. G. Lafaye).

 

 

 

 

 

Les premières traductions en prose sont l’œuvre de Cicéron : nous avons une bonne partie de la traduction qu’il réalisa du Timée de Platon. Cicéron cherche un équilibre entre l’exigence d’interpréter correctement et clairement la pensée difficile du philosophe d’Athènes et la fidélité à l’idéal de la latinitas.

Si l’époque augustéenne n’a pas laissé de grands traducteurs, nous trouvons, sous Tibère, deux figures intéressantes : Phèdre, qui traduit les fables d’Ésope, et Germanicus, fils adoptif de Tibère, qui actualise à la fois Aratos et la traduction qu’avait réalisée Cicéron. Sénèque fut aussi traducteur. Comme ses prédécesseurs, il accorde la primauté au fond au détriment de la forme (Lettres, 9, 20 : «faisons en sorte de nous plier non à la lettre, mais à la pensée des textes» [trad. H. Noblot]).

On peut confronter, pour un même passage du Timée de Platon (29 d-e), la traduction de Cicéron (Tim., 9) et celle de Sénèque (Lettres, 65, 10). On constate que ni l’une ni l’autre ne rend scrupuleusement la pensée de l’original. Plus tard, un autre traducteur du Timée, le philosophe néoplatonicien Calchidius (IVe-Ve s.), pourtant plus enclin à la traduction technique qu’à la version littéraire, ne rendra pas non plus la pensée de Platon à la lettre.

Au IIe s., Apulée de Madaure, l’auteur du célèbre roman intitulé les Métamorphoses, a lui aussi sa place dans l’histoire du uertere latin. Il réalisa une traduction du De mundo, mettant ainsi en latin le traité pseudoaristotélicien Peri Kosmou. Ce texte ne contient qu’une dizaine de phrases traduites littéralement. Pour le reste, les variations ont allongé l’original de plus de la moitié.

À la fin de l’Antiquité, sous la pression du christianisme, l’intérêt des traducteurs se déplace toujours plus de la sphère littéraire vers le domaine religieux et technique. Ainsi Boèce (né vers 480), à la frontière avec le Moyen Âge, concevra-t-il le projet, qu’il ne pourra réaliser qu’en partie, de traduire et de commenter toutes les œuvres de Platon et d’Aristote.

La traduction dans l’Antiquité fut donc une belle aventure vécue par de nombreux auteurs dont on oublie trop souvent ce pan de leur activité.

Bruno Rochette
Mars 2009

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Bruno Rochette enseigne les langues et littératures classiques à l’ULg. Ses recherches portent principalement sur le bilinguisme gréco-latin. Il s’intéresse aussi à la traduction du grec en latin et du latin en grec.   

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