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La joyeuse entrée de Robert de Berghes (en 1557)

08 May 2009
La joyeuse entrée de Robert de Berghes (en 1557)

À l’occasion de l’événement « Un festin renaissant à la cour du prince-évêque de Liège », paraît le premier ouvrage d’une collection consacrée à l'histoire de la gastronomie wallonne :

joyeuse entrée de robert de berghes

La joyeuse entrée du prince-évêque Robert de Berghes,
une journée solennelle couronnée par un somptueux banquet

Cet ouvrage collectif, né d’une collaboration entre l’asbl Achroma et les chercheurs de l’ULg, se compose de deux parties.

La première retrace la journée de la joyeuse entrée de Robert de Berghes en s’attardant sur le décor, les sons, les rituels et, bien sûr, le banquet qui clôture en apothéose cette journée exceptionnelle.

La deuxième partie est entièrement consacrée au maître queux Lancelot de Casteau et à son œuvre, l’Ouverture de cuisine, ouvrage fondamental dans l’histoire de la gastronomie et principal témoin du passage de la cuisine médiévale à la cuisine classique du XVIIe siècle.

Une analyse détaillée de cet ouvrage nous emmènera dans le Liège du début du XVIIe siècle, à travers son marché, ses cuisines et ses cuisiniers.

 

Les collaborateurs scientifiques
et auteurs d’articles

Renaud Adam : Attaché scientifique à la Bibliothèque royale de Belgique, Pôle d'Attraction Interuniversitaire (PAI, VI.32), Politique scientifique belge
Marie-Guy Boutier : Professeur à l'Université de Liège et directrice de l'Atlas linguistique de la Wallonie
Emilie Corswarem : Chargée de recherches F.R.S.-F.N.R.S., Université de Liège, musicologue
Annick Delfosse : Chargée de recherches du F.R.S.-F.N.R.S., Université de Liège, historienne
Olivier Donneau : Responsable scientifique des fonds de manuscrits et d'incunables de la Bibliothèque de Philosophie et Lettre de l'Université de Liège
Annick Englebert : Chargée de cours d'histoire de la langue française à l'Université Libre de Bruxelles
Pierre Leclercq : Historien de la gastronomie
Alain Marchandisse : Maître de recherches du F.R.S. - F.N.R.S., Université de Liège, historien


La joyeuse entrée de Robert de Berghes

Robert de Berghes

Le 4 mai 1557, décède le Prince-Evêque Georges d'Autriche. Etranger, morose et maladif, il n'a jamais suscité l'amour de son peuple. Qu'en sera-t-il de son successeur, Robert de Berghes, imposé, lui aussi, par le puissant Charles Quint ?

À vrai dire, en ces temps difficiles, les Liégeois n'ont pas la tête aux réjouissances. Constamment victimes des incursions des armées françaises et espagnoles, ils subissent une disette latente depuis plusieurs mois, les dernières récoltes ayant été détruites par les tempêtes et les orages. Bref, les ventres crient famine et il serait malséant de célébrer en grande pompe l'investiture du nouveau souverain.

Robert de Berghes en est parfaitement conscient et remet sa joyeuse entrée à plus tard, le temps de régler le problème alimentaire. Fin d'année, c'est chose faite. Le blé de la Baltique, arrivé par le port d'Anvers, a une nouvelle fois sauvé la population des ravages de la faim. En outre, la récolte d'automne est bonne. On respire enfin. Les festivités peuvent commencer.

 Anonyme, Robert de Berghes (c) Évêché de Liège

Elles sont fixées au 12 décembre. En ce jour solennel, tout Liège a envahi les rues de la cité pour acclamer son prince, suivi de la plus haute noblesse des Pays-Bas et de la principauté. Arrivé par la porte Saint-Léonard, il gracie une foule de criminels et de bannis avant de recevoir les clefs de la ville des mains des magistrats. Le prestigieux cortège s'enfonce alors dans les rues de Liège au son des acclamations de la foule, du crépitement des arquebuses et du tonnerre des canons. Il traverse la place du marché, superbement décorée et met pied à terre face aux degrés de Saint-Lambert, où se sont rangés les Franchimontois et la Compagnie des Dix Hommes.

Dans la Chambre de Saint-Michel, il prête serment face aux échevins, opération qu'il réitère à la Cathédrale, en présence des chanoines. L'évêque peut à présent rejoindre le palais où l'attendent les cadeaux de la cité et un somptueux festin de cent quarante couverts préparé par le maître queux Lancelot de Casteau. Ce dernier est l’auteur de l’Ouverture de cuisine, premier livre de cuisine «belge» écrit en français et premier livre en français à s’émanciper de la tradition médiévale incarnée par Taillevent. Il a retranscrit dans son œuvre le menu servi le jour de la joyeuse entrée de Robert de berghes et donné les recettes de certains plats y ayant figuré.




Le banquet

banquet

Le menu du banquet offert à Robert de Berghes comporte cent quarante-six plats différents répartis en quatre services. Le repas se déroule en fonction des règles du service à la française : tous les plats d'un même service sont apportés en même temps sur la table et les convives se servent en fonction de leurs goûts.

Le premier service correspond à nos potages et entrées. Il se compose essentiellement des plats chauds : des pâtés, des rôtis, des potages (c'est-à-dire des viandes étuvées), des tourtes, des viandes bouillies et, pour déroger à la règle du chaud, une daube.

Le deuxième service est le rôt proprement dit. Il s'agit du centre du repas, autour duquel s'articule tout le reste. Le rôt est le plat le plus important, c'est à sa réussite qu'on juge de la réussite de tout un banquet. Ce deuxième service est donc largement dominé par les rôtis, surtout d'oiseaux décorés de leur plumage. On y trouve encore des potages, des pâtés, des raviolis, des tourtes et des viandes bouillies.

Le troisième service est l'entremets, extrêmement varié et essentiellement froid. Les pâtés froids, les rôtis froids, les gelées, les charcuteries et les daubes rivalisent avec les plats chauds de poisson et les fritures de champignons.

Le quatrième service est celui des desserts. On y retrouve des pâtes de fruits, des marmelades, des gelées, des succades, des fruits confits, des fruits frais, des gaufres, des oublies, des massepains, des tartes, des biscuits, des gâteaux, du fromage, des beignets, etc.

 

festin renaissant

Le Christ chez Marthe et Marie, attribué à Joos Goeimare (1574-1611) ou à l'un de ses élèves (c) Musée de la Gourmandise, Hermalle-sous-Huy


Les recettes et les ingrédients

livre de cuisine de Lancelot de Casteau

Jusqu'au XVIe siècle, les menus médiévaux sont presque exclusivement composés de viandes, et d'oiseaux en particulier. Le menu de Lancelot de Casteau est plus diversifié. En plus du gibier et des viandes de boucherie, il propose des poissons, des fruits, des légumes et des champignons, produits dont la vogue ne fait que commencer. En fait, nous sommes à une période charnière entre le Moyen Âge et l'Époque Moderne. La cuisine du XVIe siècle présente donc des caractéristiques médiévales et modernes.

Illu 16 tête de veau-Georges
En outre, la cuisine de Lancelot de Casteau est un formidable métissage des cultures européennes. Sans conteste, l'invitée d'honneur de notre festin liégeois est l'Italie, dont le principal mérite est d'avoir amené les légumes sur les tabl es d'une aristocratie essentiellement carnivore. Elle est aussi l'initiatrice des pâtés en croûte, des tourtes, des pâtes et des raviolis, accompagnés de l'indispensable parmesan, particulièrement appréciés à cette époque.  Certains desserts, tels que les moustacholles ou les biscotelles, sont, eux aussi, d'origine italienne.

Sont également présentes l'Allemagne, avec ses plats hongrois, et l'Angleterre, avec son robuste pâté d'agneau.

 


 

 

Illustration du haut : Le festin du roi Belsazar (détail), école de Floris Frans I, Anvers XVIe siècle, © Broelmuzeum, Courtrai. Un banquet typique du XVIe siècle. Contrairement à la disposition traditionnelle, les convives étaient installés aux deux côtés des tables lattérales. Peut-être les convives de Robert de Berghes l’étaient-ils aussi ?

En bas : Page de titre de l’Ouverture de cuisine © Bibliothèque royale de Belgique
Tête de veau sortant de la casserole, expérimentation par Georges Verly - Thoueris - Photo : Pierre Leclercq

Une recette du banquet de la joyeuse entrée de Robert de Berghes 

Chapon en potage de Hongrie

Voici une recette très caractéristique du XVIe siècle à base de chapon. Elle allie le sucré et le salé, la cannelle et la muscade, la viande et les fruits. Le safran nous rappelle la cuisine médiévale.

Prennez vn chapon à moitie cuit,1 couppez le en quartiers, & le fricassez en beurre vn peu, qu'il ne soit point noir: puis prennez des oignons couppés par tranches, & des pommes couppees par petits quartiers, & les fricassez dans le beurre, & le iettez sur le chapon en vn pot: puis mettés dedans vn peu de bouillon & du vin, & le laissez boulir encor, & mettez dedans du saffran, suecre, [succre] canelle, muscade, des peignoles, & faictes bien esteuuer tant qu'il soit bien cuit, & seruez.

Alors que nous autres, chefs du XXIe siècle étions fiers de nos recettes originales, alliant sucré et salé, je me suis rendu compte que l'idée n'était pas du tout novatrice.  Grâce au chapon en potage de Hongrie que j'ai préparé pour la reconstitution du banquet, j'ai pu constater que ce mélange hors du commun datait déjà du XVIe siècle ! Le mélange d'épices s'est révélé très audacieux : cannelle, safran, muscade... une association fine, étonnante et précise qui donne à notre recette un goût succulent. Le fait de découvrir ces recettes historiques m'a permis de faire un grand retour aux sources ! Moi qui croyais goûter des plats « grossiers » sans saveur, j'ai pris une belle gifle : des préparations fines, savoureuses et dosées à la perfection, voilà ce que j'ai mangé. J'en tire des conclusions quant aux valeurs culinaires d'antan qu'il est bon de respecter et à l'équilibre alimentaire qui est et sera toujours la clé d'une cuisine réussie.

Fabian Mossay

Chef - Ideal Cooking




1 Cuisez le chapon en bouillon avec quelques légumes. Le bouillon servira dans la suite de la recette.

L’asbl Achroma

L’asbl Achroma se donne pour but de promouvoir la recherche en gastronomie historique et de réaliser des événements en rapport avec cette discipline. Elle se base sur les travaux de Pierre Leclercq, spécialiste de l’histoire de l’alimentation.

En 2009, l’asbl Achroma lance le cycle Si Liège vous était conté en six banquets, en partenariat avec l’Université de Liège et Thoueris, spécialisée en archéologie expérimentale et dans l’organisation d’événements liés à la gastronomie historique. Réparti sur six ans, ce cycle retracera l’histoire de la gastronomie dans nos régions à travers la commémoration de grands faits ayant marqué l’histoire liégeoise.

banquet

Chaque événement donnera au public l’occasion de vivre un banquet somptueux réalisé dans un véritable souci scientifique, en collaboration avec des chercheurs de l’ULg et de diverses autres institutions. L’exécution des recettes sera assurée par le chef Fabian Mossay, d’Ideal Cooking, sous les conseils avisés de Pierre Leclercq et de Georges Verly, de Thoueris. Ainsi, tout sera mis en œuvre pour que les convives passent une soirée d’exception, tout aussi divertissante qu’instructive, dans un lieu historique prestigieux.

Chaque reconstitution sera accompagnée d’une publication collective, éditée au « Livre Timperman », dont la somme restituera l’histoire culinaire de Wallonie, œuvre qui n’a pas encore été abordée scientifiquement. Ces ouvrages intégreront l’histoire de la gastronomie wallonne dans le contexte européen.

Le premier se penchera sur la gastronomie renaissante à travers le banquet de la joyeuse entrée de Robert de Berghes. Le deuxième exploitera un exceptionnel manuscrit inédit du XVIIIe siècle et le troisième analysera les habitudes culinaires du XIXe siècle à travers le banquet organisé en l’honneur de Franz Liszt le jour des premières émeutes ouvrières belges du 18 mars 1886. Le Moyen Âge, le Grand Siècle et l’époque contemporaine feront l’objet des publications suivantes.

table renaissance

En plus du travail d’interdisciplinarité entamé avec les nombreux spécialistes universitaires, l’asbl Achroma se livrera, en étroite collaboration avec Thoueris, à une recherche innovante en archéologie expérimentale qui permettra de comprendre plus en profondeur la cuisine d’autrefois.
Bref, tout en menant un travail scientifique pointu, l’asbl Achroma créera des événements prestigieux alliant raffinement, culture et divertissement.

 

 

Pierre Leclercq
Mars 2009

 

icone crayon

Pierre Leclercq est historien. Ses recherches concernent toute l'histoire de la gastronomie.

 

Lire aussi Histoire et cuisine du XVIe siècle sur Reflexions

 

Interview de Pierre Leclercq - Avec l'aimable autorisation de Télétourisme



 

 

Illustrations :
La cuisine grasse par Pieter van der Heyden, dit Merica (c. 1530-1575) d’après Pieter Bruegel (c. 1525-1569) © Collections artistiques de l’Université de Liège. La graisse, rare et chère, est l’apanage des riches et ne se partage pas avec les miséreux.
 
Table regroupant des objets du XVIe siècle © Musées Royaux d’Art et d’Histoire. Au XVIe siècle, l’art de la table s’affine. Ces objets ont orné les tables les plus luxueuses. De gauche à droite, nous avons comme objets en verre : une aiguière à embouchure trilobée de Venise, XVIe siècle (inv. 545) ; une tazza (coupe très évasée, sur jambe), verre à la façon de Venise, d’Anvers, 2e moitié XVIe siècle (inv. 283) ; une fontaine de table, Venise ou façon de Venise, fin XVIe - début XVIIe siècle (inv. 260) ainsi qu’une coupe apode godronnée, Venise, fin XVe - début XVIe siècle (inv. 6662). Nous avons encore, en majolique de Deruta (Italie), une salière (Inv. L. 653) et une coupe sur pied Inv. 3652) de la 1re moitié du XVIe siècle.


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