Les poèmes d'Ovide en exil

Le lyrisme de l’exil

Ovide exilé écrit : c’est sa seule ressource ; ce poète qui s’identifie totalement au vers et à l’écriture poétique — avec orgueil, il a dit de lui-même que tout ce qui sortait de sa plume était vers — ne dispose que de ce moyen pour survivre. Il recourt à la poésie, tout à la fois consolatrice et utilitaire, pour exprimer les périls du voyage, l’insécurité, l’isolement linguistique, la séparation de son épouse, de sa fille et de ses amis — le deuil de toutes choses. Les lettres-poèmes qu’il adresse à ses proches, parents ou amis, mêlent descriptions, plaintes, démonstrations d’affection, mais aussi requêtes, suppliques, reproches. L’enjeu est pour lui d’amener quelqu’un d’assez solidaire et influent à obtenir d’Auguste un adoucissement de sa peine, un exil plus proche de Rome et moins… barbare. Il n’y parviendra pas.

buste d'Ovide

Le personnage fascine, mais il peut agacer par son assurance, sa prétention, son succès aussi. Il peut irriter les modernes que nous sommes par son statut de poète de cour, sa flagornerie dénuée de tout scrupule — mais c’est un Romain, et d’être poète sous une autocratie naissante pouvait avoir pour rançon l’inféodation au pouvoir. L’impudeur de ses plaintes dérange aussi (« une chochotte », dit Marie Darrieussecq).

Mais, somme toute, ces aspects déplaisants l’humanisent tout autant que ce qui nous touche directement dans son épreuve. Il y va également de la pratique même de la poésie : contraint par cette expérience, l’héritier d’un genre codifié fait de son instrument un usage… vital — écrire lui permet de survivre dans sa thébaïde, mais aussi dans l’attention de ses proches ou moins proches, et dans l’avenir — ; un usage qui, maintenu dans les limites du code, transcende néanmoins le lyrisme de l’époque. C’est cette tension entre l’expérience brute et les conventions poétiques dans lesquelles il se maintient néanmoins, qui donne aux lettres d’Ovide, sinon une totale modernité, du moins une permanence pour nous.

Une œuvre apte à nous parler autant appelle une traduction idoine. Marie Darrieussecq, qui n’est ni poète ni traductrice, s’en est lancé le défi.

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