Les poèmes d'Ovide en exil

Un poète latin aujourd’hui

Les poètes latins sont-ils à la mode ? Ont-ils toujours quelque chose à nous dire ? Les Odes d’Horace ont paru retraduites en 2004, chez Gallimard. Aujourd’hui, ce sont les éditions P.O.L qui publient les Tristes et les Pontiques d’Ovide, dans une toute nouvelle traduction de la romancière Marie Darrieussecq. 

Tristes Pontiques

Ovide est le dernier d’une Pléiade majeure, celle des cinq poètes latins de l’Âge d’Auguste : né en 43 av. J.-C., il est de 20 ou 30 ans le cadet de Virgile et d’Horace, d’environ 10 ans celui de Tibulle et Properce. Comme ces deux derniers, il a surtout pratiqué l’élégie, héritée des Grecs comme l’épopée ou l’ode lyrique, et fondée sur une forme précise, le distique élégiaque, qui fait alterner un vers long, l’hexamètre dactylique, et un plus court, le pentamètre.

L’élégie a pour thème traditionnel la plainte et, dans la poésie latine, l’expression de l’amour et l’adresse à l’aimée. Ovide n’a pas failli à cet usage, mais son inventivité, sa biographie et sa position de benjamin d’une génération l’ont amené à développer une œuvre variée, marquée par l’innovation et la singularité. C’est un poète qui fait évoluer les genres. Si, comme ses aînés, il commence par l’élégie amoureuse (Les Amours), il crée rapidement un nouveau sous-genre à l’intérieur de celle-ci en imaginant les lettres que les héroïnes de la mythologie grecque auraient pu écrire à leurs amants (Les Héroïdes) ; amour et plainte, plaintes d’amour, pure fiction (il fait parler des personnages fictifs féminins !) : Ovide respecte le code tout en innovant. Invention à nouveau : il applique la forme élégiaque au didactisme libertin, dans L’Art d’aimer, le célèbre traité de séduction qui, avec Les Métamorphoses, suffit à la postérité du poète.

Ces Métamorphoses, écrites dans le mètre de l’épopée (l’hexamètre), développent en 12 000 vers de nombreuses fables de la mythologie grecque, en autant de mini-épopées (epullia) cousues entre elles. À travers elles, il fut avec Virgile le poète latin le plus connu et le plus exploité au Moyen Âge et à la Renaissance ; elles ont nourri l’art et la littérature moderne, depuis la Renaissance jusqu’au xxe siècle.

La fin de sa vie est tragique et romanesque (elle inspirera plusieurs romans au  xxe siècle) : poète de cour, proche du pouvoir, il a déplu à Auguste pour avoir commis une « faute », qui restera secrète et fera couler beaucoup d’encre. On s’accorde à supposer, d’après les allusions d’Ovide lui-même, qu’il a vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû, d’ordre scandaleux. En 8 apr. J.-C., avec pour prétexte officiel l’immoralité de L’Art d’aimer (qui aurait perverti les mœurs romaines), l’Empereur l’exile au bout du monde, sur les rives de la Mer Noire, chez les Barbares, là où personne ne parle latin ni grec, dans un paysage de marais désertiques. Un exil brutal en dehors de la civilisation, du raffinement, de la littérature, des mondanités, de tout ce qui faisait la vie d’Ovide.

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